Donald Trump, un homme rejeté par les élites de gauche qui prend sa revanche

Je connais Donald Trump. Nous étions étudiants ensemble à Philadelphie il y a de cela des années et, l’un après l’autre, nous sommes partis faire carrière à New York – lui dans l’immobilier, moi dans le journalisme. Pendant des décennies, nous avons arpenté les mêmes rues, assisté aux mêmes soirées et rencontré les mêmes personnes. Pendant tout ce temps, je ne lui ai jamais adressé la parole et, pour être franc, je ne l’ai jamais croisé (comme vous n’êtes pas sans le savoir, Philadelphie et New York sont des grandes villes). Pourtant, je pense le connaître mieux que beaucoup de personnes.

En tout cas, certainement mieux que quiconque en Europe, où il n’a passé que peu de temps. Sur le Vieux Continent, Trump est perçu comme un raciste, un misogyne, un islamophobe, un isolationniste, un vantard admirateur des dictateurs. Son élection y a provoqué un déferlement de peur. Après tout, n’a-t-il pas avancé que les Etats-Unis ne rempliraient pas leurs obligations au sein de l’OTAN si un Etat membre était attaqué ? Et n’a-t-il pas dit son admiration pour celui qui pourrait lancer une telle attaque, Vladimir Poutine ?

Il a également laissé entendre que les Etats-Unis pourraient faire défaut sur leurs dettes, se retirer de l’accord de Paris sur le climat, renier l’accord sur le nucléaire iranien, déclencher des guerres commerciales, expulser des immigrés et recourir à la torture pour combattre le terrorisme. Autant dire qu’il ne correspond pas au président américain idéal tel que se l’imaginent les Européens.

Mais se comportera-t-il vraiment ainsi ? A partir de ce que je sais du personnage, voici quelques certitudes. Tout d’abord, nul ne sait grand-chose de Donald Trump. Quand nous étions à l’université, il n’avait que peu d’amis et ne cherchait pas à en avoir plus. Depuis, il a accumulé les connaissances, mais pas vraiment les amis proches. Au cours de sa campagne présidentielle, il n’a souvent tenu aucun compte des ­conseils de son entourage. Il est ce que les Américains appellent un « loner », un solitaire, un de ces hommes qui préfèrent leur propre compagnie et n’écoutent que leur voix intérieure.

Mais, régulièrement, Donald Trump oublie ce que sa propre voix lui a dit. Après avoir été un démocrate classique pendant des années – allant jusqu’à inviter Hillary et Bill Clinton à son mariage –, il s’est brusquement rapproché de l’aile la plus à droite du Parti républicain. Il n’a jamais vraiment donné les raisons de cette conversion, mais je soupçonne que cela a moins à voir avec ses convictions qu’avec un ressentiment qui couvait chez lui depuis nos années à l’université.

En dépit de sa richesse et de sa célébrité, Trump a toujours été une sorte de paria, un forban un peu rustre et fasciné par le clinquant que fuyaient les élites sociales et intellectuelles de la Nouvelle-Angleterre. Pendant des années, il a tenté d’obtenir leur respect, mais il n’a jamais pu rejoindre les conseils d’administration des principales organisations philanthropiques de New York (le meilleur indicateur de statut social dans la ville). Il n’a même pas pu être coopté par l’un des prestigieux clubs de golf de la région (il a fini par acheter le sien). Le virage à droite de Trump pourrait bien être une réaction de colère à son rejet par les élites de gauche.

Un besoin maladif d’être respecté

Par ailleurs, la voix intérieure de Trump est peut-être muette ces jours-ci. Bien qu’il ait fait des dizaines de promesses controversées pendant la campagne, il a fini par adoucir, ou même renier, beaucoup d’entre elles. Même son fameux mur sur la frontière avec le Mexique semble vaciller. NBC, l’une des principales chaînes américaines, a calculé que Trump a changé d’avis 141 fois au sujet de vingt-trois promesses de campagne. Ce n’est pas pour rien si les spéculations de la semaine dernière sur ce que sera la présidence Trump se sont essentiellement concentrées sur la composition de son gouvernement plutôt que sur ce qu’il va vraiment faire.

Enfin, les Européens inquiets peuvent trouver des germes d’espoir dans le passé de Trump. Je pense qu’il veut en effet « rendre sa grandeur à l’Amérique », mais il se préoccupe moins des questions concrètes que d’être un « grand » président. En évitant d’entrer dans les détails, et particulièrement en se contredisant si souvent, il s’est donné des marges importantes pour mener son action.

Il a aussi montré ce qui le motive vraiment : un besoin maladif d’être respecté de la part des personnes qu’il respecte. C’est la seule chose que son argent a été incapable d’acheter – mais ce respect est maintenant à portée de main. Il pourrait réaliser son rêve en étant un président qui apaise les divisions qu’il a contribué à creuser pendant la campagne, faisant preuve de magnanimité envers ceux qu’il a diabolisés, et perpétuant l’engagement de l’Amérique à tenir son rang dans le monde, ainsi que son attachement aux droits de l’homme et aux valeurs des Lumières qui l’unissent à l’Europe.

Si Donald Trump ne se révèle pas capable de rendre sa grandeur à l’Amérique, il pourrait bien révéler sa propre grandeur. Qu’il rate cette opportunité, et il finira comme n’importe lequel de ces loners que vraiment personne ne souhaite connaître.

Donald Morrison, essayiste et journaliste, auteur de "Comment Obama a perdu l’Amérique" (Denoël, 2012).

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