Droit d'auteur européen : collusion pour le contrôle du Net

Le collège des Commissaires européens prépare d'importantes décisions concernant le futur de la politique européenne en matière de droit d'auteur. Les conditions de cette future révision sont très inquiétantes et biaisées, tant du point de vue du débat démocratique que de la protection des libertés fondamentales, particulièrement en ce qui concerne Internet.

La Direction générale "marché intérieur", sous la houlette du Commissaire français Michel Barnier, vient ainsi de mettre fin à un processus de consultation publique. Cette consultation vise à commenter un rapport qui prétend être une "étude d'impact" de l'acquis communautaire en matière de droit d'auteur, et en particulier de la directive dite "Ipred" de 2004. En réalité le-dit document ne fait que reprendre les arguments fournis clés en main par les industries du divertissement : la culture se porterait affreusement mal, et il serait forcément nécessaire d'aller vers plus de répression, en ciblant davantage Internet.

Cette obsession de la répression est particulièrement flagrante lorsqu'on sait que la Commission a négocié secrètement, durant trois ans et avec douze autres pays, l'accord anti-contrefaçon (ACTA). Sous couvert d'un banal accord commercial, l'ACTA impose en réalité à ses signataires de nouvelles sanctions pénales pour les entraves au droit d'auteur et brevets ciblant très largement les divers acteurs d'Internet.

En effet, l'échec de la politique de répression de masse des utilisateurs qui partagent des fichiers sur Internet se transforme aujourd'hui en une tentative de porter la répression directement au cœur du réseau. En faisant des intermédiaires techniques (fournisseurs d'accès, fournisseurs de services en ligne) une véritable police privée du droit d'auteur, on obtiendrait d'eux qu'ils censurent les contenus sur leurs réseaux et services, en filtrant les communications de leurs utilisateurs.

ENTRAVES AUX LIBERTÉS INDIVIDUELLES

Un tel revirement du cadre législatif conduirait inévitablement à de graves entraves aux libertés individuelles, et tout particulièrement à la liberté d'expression et au respect de la vie privée. En appelant de leurs vœux le contournement de l'autorité judiciaire pour mettre en œuvre des dispositifs visant à restreindre l'accès à Internet et ses services, les décideurs européens encourageraient une infrastructure de censure techniquement similaire à celles utilisées, à des fins politiques, par les régimes autoritaires.

Une telle dérive, résolument contraire aux valeurs démocratique de nos Etats de droit, s'explique par l'aveuglement – sinon la paresse – des responsables politiques européens, qui font le choix délibéré de suivre les industries du divertissement dont les modèles économiques reposent encore sur le contrôle des copies. Ainsi, la Commission s'entête à relayer les chiffres alarmistes fournis par ces industries, alors même que dans un rapport détonnant, la Cour des comptes américaine les qualifie de fantaisistes.

Toute hypothèse partant du principe que le partage de fichiers pourrait être bénéfique à la culture, sa diversité et son économie est ainsi systématiquement écartée. Un nombre croissant d'études indépendantes démontre pourtant que les adeptes du partage de la culture en ligne sont également les meilleurs clients des offres commerciales – au même titre que les membres de bibliothèques sont la plupart du temps les plus gros acheteurs de livres. Les usages hors marché et commerciaux ne s'annulent pas ; ils se complémentent. De même, les formes innovantes de financement de la création fondées sur la légalisation du partage, comme la contribution créative défendue par la coalition Création-public-Internet, sont systématiquement ignorées par les décideurs européens.

Cette influence néfaste des industries du divertissement sur le processus législatif européen atteint aujourd'hui son paroxysme avec la nomination de Maria Martin-Prat, ancienne directrice des affaires juridiques et institutionnelles du syndicat international des majors du disque (IFPI), à la tête de l'unité en charge du droit d'auteur auprès du commissaire Michel Barnier !

Nos concitoyens européens et leurs représentants élus doivent s'opposer avec force à cette collusion malsaine portant atteinte aux libertés fondamentales et à l'infrastructure d'Internet. Le choix de la Commission d'encourager le déploiement d'une infrastructure de contrôle et de censure d'Internet plutôt que d'initier l'inévitable réforme d'un droit d'auteur devenu inadapté aux usages et aux technologies est impardonnable.

Par Jérémie Zimmermann et Philippe Aigrain, co-fondateurs de La Quadrature du Net.

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