Droit des robots (II): controverse sur la personnalité juridique des robots

Robot tenant un journal lors d'une démonstration au World Economic Forum. © AFP / FABRICE COFFRINI
Robot tenant un journal lors d'une démonstration au World Economic Forum. © AFP / FABRICE COFFRINI

Pour l’avocat français Alain Bensoussan, interrogé dans l’émission du «Grain à moudre» de la radio France Culture du 18 décembre 2015, le robot n’aurait pas sa place aux côtés du grille-pain dans la catégorie fourre-tout des biens meubles; il a d’ailleurs dressé une Charte des droits des robots dans laquelle on inscrit même, au profit du robot, un droit à une forme de dignité numérique. Pour cet homme de loi, il convient également de le protéger contre les actes dégradants commis par des humains à son détriment, par exemple d’éventuelles relations sexuelles ou encore un démantèlement, cas échéant filmé et publié sur les réseaux sociaux, pour rajouter à l’horreur.

Ni sentiments ni souffrance

Une position outrancière qui fait bondir, dans l’émission précitée, Raja Chatila, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut des Systèmes Intelligents et de Robotique (ISIR) pour qui les choses sont claires: un robot ne ressentira jamais ni sentiments, ni souffrance et le concept de mortalité lui est étranger.

En réalité, l’IA du robot doit se concevoir non comme une capacité individuelle de celui-ci, laquelle n’est en réalité qu’un attribut de façade, mais davantage comme la somme des connaissances et des apprentissages de tous les robots de la même facture, puisque c’est bien l’interconnexion des machines qui engendrera, dès à présent mais surtout à terme, la véritable IA. D’où l’ineptie d’une conception prenant comme prémisse l’existence d’une autonomie et d’une véritable individualité du robot. Là où certains veulent voir l’être unique, il y a le groupe, là où les sages voient le «nous», le «je» se place en trompe-l’œil.

Craintes et espoirs démesurés

Pour Raja Chatila, s’il est une question plus pressante que les droits du robot en tant qu’entité matérielle et individuelle, c’est bien celle de l’obligation éthique à charge de son concepteur. En novembre 2014, La Commission de réflexion sur l’Éthique de la Recherche en sciences et technologies du Numérique d’Allistene (CERNA) publiait un imposant document de réflexion intitulé «éthique de la recherche en robotique» et qui indiquait notamment ce qui suit: «Par l’imitation du vivant et l’interaction affective, le robot peut brouiller les frontières avec l’humain et jouer sur l’émotion de manière inédite. Au-delà de la prouesse technologique, la question de l’utilité d’une telle ressemblance doit se poser, et l’évaluation interdisciplinaire de ses effets doit être menée, d’autant plus que ces robots seraient placés auprès d’enfants ou de personnes fragiles. La forme androïde que prennent parfois les robots soulève craintes et espoirs démesurés, amplifiés par les annonces médiatiques et touchant parfois aux idéologies et aux croyances.»

A cet égard, les «emo-robots», ces machines à qui l’on prête – faussement – des émotions, présentent un grand danger: celui de voir les humains se méprendre sur leur véritable nature. Selon la réclame d’un important fabricant, ses robots seraient des «robots humanoïdes personnels et émotionnels», auraient leur «propre personnalité» et seraient «bienveillants». De quoi se poser quelques questions, puisque le danger est, en premier lieu, celui de la projection sur le robot, au motif de sa ressemblance physique avec un être vivant familier, de sentiments qu’il n’éprouve pas, d’une sorte de pensée magique qui aurait pour effet de brouiller les frontières qui doivent demeurer entre l’homme et la machine, sous peine de voir les plus fragiles d’entre nous s’y oublier et s’y perdre.

Le prochain épisode de cette série, qui paraîtra vendredi dans Le Temps, montrera que la question n’est pas de savoir s’il convient de donner des droits aux robots mais de mettre sur pied un système pragmatique de droit de la responsabilité pour les dommages causés en tout ou en partie par les robots.

Nicolas Capt, avocat.


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