Du Golfe à la Méditerranée, les Iraniens disposent d’un corridor terrestre continu

L’Iran s’installe en position de force au Moyen-Orient. Il faut remonter à l’Empire perse pour trouver pareille situation. Des « printemps arabes », de la lutte contre le djihadisme, de ces dernières années de malheur moyen-oriental, un seul régime sort renforcé : la République islamique d’Iran. A Téhéran et à Qom la sainte, les ayatollahs portent le turban haut et fier. Vestales de la branche minoritaire de l’islam – le chiisme –, ils dictent l’histoire du Moyen-Orient contemporain.

Porte-parole et défenseurs de minorités chiites arabes longtemps méprisées ou martyrisées, les dirigeants de la République islamique contrôlent la « maison chiite » dans une bonne partie de la région – de Beyrouth à Bagdad. Ils ont un de droit de veto sur les affaires du Liban, de la Syrie, de l’Irak, peut-être du Yémen.

Leur imperium est politique et économique, au moins autant qu’idéologique. Il est militaire aussi. Leur armée d’élite, les gardiens de la révolution, a sa branche extérieure, réseau de milices chiites locales, formées et encadrées par la plus expérimentée d’entre elles, le Hezbollah libanais. Situation sans précédent : du Golfe à la Méditerranée, les Iraniens disposent aujourd’hui d’un corridor terrestre continu. Ils y roulent sans visa.

Un parangon de stabilité

La République islamique est jeune : moins de 40 ans. Elle a franchi bien des épreuves. Dans le chaos régional, elle passe pour un paragon de stabilité. Depuis 2001, tout a favorisé cette théocratie à tendances dictatoriales. George W. Bush a éliminé son principal adversaire, l’Irakien Saddam Hussein.

Complices d’un gouvernement sectaire, celui de Nouri Al-Maliki, qui a terrorisé la minorité arabe sunnite d’Irak, les Iraniens portent une part de responsabilité dans la réémergence du djihadisme sunnite. Mais ils ont aussi contribué, et contribuent toujours, aux efforts pour le neutraliser. Puissance tutélaire de la Syrie, ils sont aussi un acteur puissant à Bagdad et à Beyrouth.

En face, le « front sunnite », occupé à contenir l’« impérialisme iranien », semble défait et désuni. L’Iran a su se rapprocher de certains de ses membres – de la Turquie aux Palestiniens du Hamas, en passant par le Qatar.

Là encore, la République islamique profite des bourdes et des choix politico-stratégiques impulsifs du chef de file de la coalition sunnite, l’autre théocratie régionale, l’Arabie saoudite – lancée dans une guerre atroce au Yémen, ayant disséminé la peste idéologique du wahhabisme et trop longtemps flirté avec les groupes djihadistes. Dans la bataille en cours avec Téhéran, le « front sunnite » n’a jamais réussi à disposer de quelque chose ressemblant aux gardiens de la révolution iraniens. Au lieu de quoi, il a misé sur le djihadisme.

La Chine, premier partenaire économique

Après avoir signé, en juillet 2015, l’accord international plaçant son programme nucléaire sous contrôle, l’Iran a refusé la main que lui tendait Barack Obama. L’Américain espérait des retombées positives de l’accord de Vienne – en Syrie, en Irak, au Liban, voire sur le dossier israélo-palestinien et dans les relations bilatérales avec Washington. A Téhéran, les « durs » ne l’ont pas permis. Avec la Russie, l’Iran a développé une coopération étroite, notamment en Syrie, mais sur un fond de méfiance réciproque. Ont-ils le même projet pour leur « province syrienne » ?

La relation la plus positive de l’Iran avec les Grands de l’époque est avec la Chine. Les Chinois connaissent leur histoire, l’aventure de la Route de la soie entre autres, ils ont le sens du temps long et ils savent lire une carte. L’ancienne Perse est leur choix naturel, au carrefour des routes menant au monde arabe, à l’Europe et à l’Asie centrale.

Comme le racontait le New York Times fin juillet, Pékin concentre sur l’Iran une large partie des investissements de son projet grandiose visant à relier la Chine à l’Europe : autoroutes et voies ferroviaires. Le Shangaï-Téhéran, fret et passagers, sera bientôt une ligne très courue.

La Chine est déjà le premier partenaire économique de l’Iran. Les inventeurs du boulier font leurs comptes. Avec 81 millions d’habitants, une classe moyenne urbaine brillante, le pétrole et le gaz dont la Chine a besoin, l’Iran est, vu de Pékin, un pays-clé. Ajoutons une hostilité commune à tout ce qui ressemble à la démocratie libérale et le même souci de contrer l’extrémisme sunnite qui, chez l’un comme chez l’autre, peut frapper à l’intérieur.

Aucun nuage à l’horizon ? Non. Donald Trump mène une politique résolument hostile à l’Iran. Le président américain estime que le Moyen-Orient est « déstabilisé » par l’expansionnisme iranien. Il ne l’a sûrement pas lu, mais il veut sortir de l’accord de Vienne. Son objectif est de multiplier les sanctions contre Téhéran. Il y a plus.

Des Arabes sunnites marginalisés

Le succès de la République islamique au Moyen-Orient est à double tranchant. Il entretient l’adversité d’un monde arabe qui consentira difficilement à une présence militaire iranienne continue en Syrie. Dans ce pays comme en Irak, la marginalisation de dizaines de millions d’Arabes sunnites garantit la résurgence d’un djihadisme post-Etat islamique.

Au nom de l’ennemi commun – quotidiennement, l’Iran voue Israël au pire –, les Israéliens ont rejoint la « coalition sunnite ». Entretenant par ailleurs les meilleures relations avec la Russie, coresponsable de la Syrie, les Israéliens ont prévenu Vladimir Poutine : pas question pour eux de tolérer un « front oriental » (comprendre : syrien) d’où l’Iran, directement ou par Hezbollah interposé, braquerait ses missiles sur Israël. Une prochaine « petite » guerre pourrait venir de là.

Le danger pour l’Iran est celui d’une trop grande extension de sa zone d’influence. C’est la menace de l’hubris, celle de céder à l’ivresse de sa prépondérance. Au moment où il faudrait tendre la main à ses adversaires.

Par Alain Frachon.

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