Du pouvoir insoupçonné des migrants et des jeunes

Manifestation d'étudiants contre l'expulsion d'étudiants sans papiers, le 5 novembre 2013, à Paris. Photo : FRED DUFOUR.AFP
Manifestation d'étudiants contre l'expulsion d'étudiants sans papiers, le 5 novembre 2013, à Paris. Photo : FRED DUFOUR.AFP

La crise des réfugiés qui fait tanguer l’Europe n’est que l’illustration la plus dramatique d’un phénomène plus large: l’accélération et l’accroissement des flux migratoires. On ne saurait blâmer ceux qui tentent l’aventure. Dans un monde où les soixante-quinze individus les plus fortunés détiennent autant de richesse que la moitié de l’humanité la plus pauvre, il n’est pas surprenant qu’un nombre croissant d’être humains tentent d’obtenir leur part du gâteau mondial en faisant route vers les pays les plus riches. On l’oublie trop souvent: la majorité des mouvements migratoires de l’histoire s’expliquent avant tout par une insatisfaction vis-à-vis des conditions politiques et économiques dans le pays d’origine.

Comme le relevait récemment Peter Sutherland, représentant spécial des Nations Unies pour les migrations, lors d’une conférence à la London School of Economics, «ce sont désormais les migrants qui choisissent leurs états alors que jusqu’à présent, c’était l’inverse». Preuve en est, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) présent à Munich peine à enrôler des candidats irakiens et syriens au départ pour la France. La barrière de la langue, les rumeurs de xénophobie croissante et le chômage structurel sont citées comme les principales raisons de ce manque d’enthousiasme. Il est incontestable que les économies vieillissantes qui ne voient en l’immigration qu’un problème plutôt qu’une opportunité sont en train de creuser leur propre tombe.

En 2012, le mouvement «Barrez-vous !», dénonçait un pays devenu une gérontocratie ultra-centralisée et sclérosée. Il invitait une jeunesse française frustrée à faire ses valises pour aller chercher ailleurs les opportunités qui lui faisaient si cruellement défaut en France. Dans son propre intérêt d’une part, mais aussi à titre d’avertissement au personnel politique français. Nous nous sommes consacrés depuis à examiner la condition des jeunes au-delà des frontières de l’Hexagone.

Génération sacrifiée

En nous appuyant sur 59 indicateurs, dont le chômage des jeunes, la qualité et le coût de l’éducation, la capacité des jeunes à se loger et à épargner, le déficit public, l’accès à la technologie, les libertés politiques et religieuses, l’âge moyen des dirigeants et d’autres encore, nous avons créé le Youthonomics Global Index, qui classe 64 pays pour dire où il fait bon et moins bon être jeune en 2015. Au-delà des idiosyncrasies dont pâtissent les jeunes de l’hexagone (la France se classe par exemple péniblement au 53ème rang pour ce qui est de l’accès de ses jeunes à l’emploi), notre indice dresse le constat d’une génération sacrifiée à l’échelle mondiale.

Dans une étude de 2009 intitulée «Économie des générations dans un monde en mouvement», Ronald Lee et Andrew Mason soulignaient le fait que dans de nombreuses régions du monde et pour la première fois depuis que les hommes étaient en majorité des chasseurs-cueilleurs (à l’exception de périodes de famine, d’épidémie ou de guerre), il n’y avait plus de transfert net de richesse de la génération des parents vers celle des enfants. Au contraire, les jeunes générations sont désormais censées financer les retraites de leurs aînés sans aucune perspective de voir les leurs financées à leur tour. Comme si cela ne suffisait pas, au lendemain de la crise des subprimes, les baby-boomers ont décidé de prendre les milliards de «mauvaises» dettes accumulées à titre privé — par les fonds spéculatifs, les fonds de pension, les banques ou d’autres institutions financières —, et de les convertir en dette publique, en transférant ainsi la charge à leurs petits-enfants et arrière-petits-enfants.

Transmission de richesse

Le caractère inédit de cette situation rend d’autant plus urgente et cruciale la tâche d’en saisir les conséquences à long terme. Au siècle dernier, le philosophe français d’origine lituanienne Emmanuel Levinas avait théorisé sur l’importance de la transmission des connaissances et des valeurs d’une génération à l’autre. Il considérait en effet la transmission comme étant l’une des différences comportementales-clé entre l’homme et l’animal. Mais qu’en est-il de l’importance de la transmission de la richesse ? Que se passe-t-il lorsque, pour la première fois, une génération choisit, sciemment ou non, de ne rien transmettre à la suivante ? Que se passera-t-il donc lorsque la génération Y réalisera à quel point ses parents et grands-parents ont hypothéqué son avenir ? On nous rebat les oreilles depuis des décennies avec le choc des civilisations, des cultures, des religions, que nous encourrons au XXIe siècle. Et si le plus grave péril à nous guetter était en fait un choc des générations ?

Les élus et ceux qui aspirent à l’être ont tendance à traiter les jeunes avec désinvolture – en effet ces derniers ne votent pas et sont devenus les nouveaux pauvres. Dans de nombreux pays, ils représentent une part déclinante de la population. Pour autant, la mobilité internationale sans précédent dont jouissent les jeunes de notre temps leur confère un pouvoir sans précédent pour obtenir enfin la considération qu’ils méritent. Si on ne les entend pas, si leurs besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, ils seront de plus en plus nombreux à choisir de tout simplement partir explorer d’autres horizons. Et ils auront bien raison de le faire. En Europe et aux États-Unis, nous voyons déjà des enfants et petits-enfants d’immigrés repartir dans leurs pays d’origine pour y créer des entreprises ou aller y trouver de meilleures opportunités.

Portons aux nues sur la scène internationale les pays et gouvernements qui mettent en place des politiques publiques qui améliorent sensiblement les perspectives de leur jeunesse et donnent à celle-ci les moyens de réussir. Encourageons ceux qui ne le font pas encore à adopter les best practices ayant fait leurs preuves à l’étranger. Un visa mondial de travail pour les jeunes permettrait de tourner en cercle vertueux le cercle vicieux dans lequel nombre d’entre eux sont pris en leur permettant de faire bon usage de ce qui demeure le moyen de voter le plus largement répandu dans le monde à ce jour : leurs pieds.

José Ramos-Horta (ancien Président de la République du Timor oriental, lauréat du prix Nobel de la paix) et Félix Marquardt (éditorialiste, activiste, cofondateurs du think tank Youthonomics).

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *