Economie verte : le chemin qu'il nous reste à faire

Nous sommes tous conscients de l'urgence écologique. Mais comment entrer dans l'économie verte ? Comment créer rapidement une société économe en carbone malgré nos contraintes budgétaires, économiques et sociales, alors que le monde et l'Europe se déchirent pour savoir qui paiera la f(r)acture climatique ?

Il me semble que nous devons tout d'abord retenir trois principes d'action.

Premièrement, un principe économique. Il faut réorienter les mécanismes du marché pour qu'ils ne poussent plus à la destruction des "biens publics mondiaux" (un air pur, une eau et des sols propres, etc.) mais aux bons comportements écologiques. Ceux-ci doivent devenir plus rentables que les mauvais.

Deuxièmement, un principe d'équité. On ne peut demander un effort de tous sans aider les personnes les plus défavorisées. Les aides doivent ainsi prendre en compte les niveaux de revenus et pas seulement les niveaux de consommation d'énergie.

Troisièmement, un principe d'intervention publique. Il convient d'associer étroitement les collectivités locales dans la mise en œuvre des politiques de développement durable (énergie, habitat, transport…) en reconnaissant plus nettement leur rôle et leur place. Il faut par ailleurs accompagner toute action par une étude d'impact sur l'environnement, car les sommes à investir sont trop importantes pour nous contenter de vagues estimations.

Avec Inventer à gauche, en collaboration avec Philippe Jurgensen – auteur de l'ouvrage L'Economie verte, comment sauver notre planète (Odile Jacob, 2009) – nous avons établi une série de treize propositions. Quatre d'entre elles nous semblent prioritaires.

1) Etablir une contribution énergie-climat ("taxe carbone") à un niveau suffisant.

Le bon niveau de la contribution est connu : le rapport Quinet de 2008 a montré qu'il se situera à 100 euros par tonne de CO2 émise en 2030. Pour y parvenir, il faut à la fois commencer haut et monter vite : 32 euros, avec une hausse programmée de 5 % par an. Sans visibilité à long terme, on n'infléchira pas les comportements. Les 17 euros avancés par le président de la République correspondent certes au prix de marché actuel, mais celui-ci est déprimé par la crise et reviendra vite à son niveau précédent de 25 à 30 euros. Rappelons qu'en Suède la contribution équivalente est déjà fixée à 108 euros la tonne sans compromettre la croissance et la compétitivité de ce pays.

Pour être juste, une partie du produit de cette taxe devrait donner lieu à un "chèque vert" fixé en fonction du critère de revenu des citoyens, et non en fonction de leur consommation d'énergie.

D'une manière générale, nous devons enclencher une véritable réforme fiscale : 38 % de nos prélèvements obligatoires sont aujourd'hui assis sur les salaires et 3,5 % seulement sur l'énergie fossile. Nous devons inverser cette logique qui tend à imposer fortement le travail et faiblement les activités polluantes.

2) Accélérer la mise aux normes des logements et des bâtiments publics.

Environ 20 % des émissions humaines de gaz à effet de serre proviennent du secteur du bâtiment. Les normes basse consommation (BBC) doivent être généralisées au plus vite. Le gisement principal d'économies, et sans doute le plus rentable, est une meilleure isolation des logements pour améliorer leur efficacité thermique : un euro investi en isolation économise vingt fois plus de CO2 qu'un euro investi dans les énergies nouvelles ! De plus, pour réduire de deux tiers la consommation annuelle d'énergie de notre parc de bâtiments, il faut accélérer le rythme : avec la rénovation de 400 000 logements anciens par an décidée par le gouvernement, il faudrait 75 années pour mettre l'ensemble de nos trente millions de logements aux nouvelles normes thermiques ! La gauche doit proposer de doubler l'objectif pour rénover 800 000 logements par an. C'est possible sur le plan technique comme sur le plan financier. Le coût de cette rénovation serait d'environ 15 milliards d'euros par an, mais les incitations économiques doivent permettre d'en faire financer la majeure partie par le secteur privé, bénéficiaire des économies obtenues.

3) Réorienter les programmes de recherche publique.

La recherche sur les technologies propres doit évidement devenir une priorité nationale et européenne. Un programme prioritaire supplémentaire de recherche publique de deux milliards d'euros par an (cette somme représente moins d'un quinzième du budget de recherche annuel) doit être consacré aux axes principaux : transports (électricité et hydrogène notamment) ; habitat et urbanisme ; nouveaux matériaux ; techniques modernes et dépollutions.

4) Créer l'Organisation mondiale de l'environnement et accroître notre contribution aux pays en voie de développement pour réussir Copenhague.

Pour une meilleure "gouvernance" mondiale du développement durable, nous devons proposer la création d'une véritable agence de l'environnement au sein de l'ONU, complément indispensable aux institutions financières et commerciales du système international. Cette future OME devrait être dotée de réels pouvoirs exécutifs et de sanction, accordant une juste place aux pays en voie de développement dans ses instances de décision.

Pour que les pays du Sud acceptent de s'engager au sommet de Copenhague sur des objectifs chiffrés, il faut consentir à les aider. L'Europe doit s'engager sur une aide de l'ordre de vingt milliards d'euros par an sur la période du futur accord (2012-2020) pour contribuer à financer les investissements de lutte contre le changement climatique et d'adaptation à ses conséquences dans ces pays.

La lutte contre le changement climatique – en plus de répondre au défi écologique – doit permettre d'ouvrir de nouvelles perspectives de redistribution sociale aux niveaux national et mondial que les impôts traditionnels et les politiques actuelles peinent à mettre en œuvre. En traitant de la question écologique, nous devons résolument agir dans le champ social. Ce doit être le combat de la gauche.

Michel Destot, maire de Grenoble, député de l'Isère, président d'Inventer à gauche et coauteur de l'ouvrage Energie et Climat, Fondation Jean Jaurès, 2006.