Elections en Allemagne : le calme avant la défaite

Peer Steinbrück candidat à la chancellerie pour le parti social-démocrate allemand (SPD) aux élections législatives du 22 septembre prochain souffre peut-être d'un manque de dynamisme et d'originalité dans les thèmes abordés pendant sa campagne, il est surtout desservi par l'apathie politique que l'actuelle chancelière fédérale Angela Merkel a réussit à imposer en dix ans à la tête du pays.

L'histoire de la jeune Allemagne fédérale est intimement liée aux hommes et aux femmes qui l'ont dirigé. Certains sont rentrés dans l'histoire par les réformes courageuses qu'ils ont engagées et d'autres par leur rôle géopolitique de premier ordre. Une dernière catégorie se détache et est constituée de ceux qui ont réussi à capter durablement le pouvoir et à se maintenir par statu quo. La chancelière Merkel fait partie de celle-ci. Fine stratège et grande politique, elle a su faire du revirement politique sa marque de fabrique (notamment en matière de politique énergétique après l'incident nucléaire de Fukushima), de la sortie populiste son arme de choix (notamment en tolérant au sein de sa majorité politique le développement de clichés opposant l'Europe du nord à celle du sud) et du patriotisme économique le socle de son action (en critiquant par exemple avant l'été les quotas voulus par la Commission européenne sur la production photovoltaïque chinoise qui auraient eu une effet potentiel sur la production automobile allemande). Ce faisant, alternant des positions politiques contradictoires comme récemment sur la vignette automobile dont elle avait évoqué la possibilité qu'elle a ensuite immédiatement réfutée, elle a réussit à étourdir durablement une grande partie de l'opinion publique d'outre-Rhin en imprimant dans les esprits un sentiment diffus de supériorité économique sur les autres pays européens et en favorisant l'apparition d'une atmosphère apathique où la politique n'est plus un vecteur du changement mais plus une routine dont elle seule connaît les mécanismes.

VERS L'ÉLECTROCHOC ?

Le bilan du deuxième mandat d'Angela Merkel est intéressant. En augmentant les prélèvements directs plus qu'aucun autre gouvernement allemand avant lui et en dégageant un excédent commercial de plusieurs dizaines de milliards d'euros (169 pour 2012 selon Eurostat), elle n'a pas réussit à faire baisser substantiellement la dette du pays (l'augmentation sur les 4 dernières années est en effet de 20%). En déconstruisant le système publique d'assurance sociale et en le remplaçant par des caisses privées sur le modèle américain, en favorisant la flexibilité du travail et en engageant les femmes à rester à la maison après une grossesse, elle a précipité l'Allemagne sur la pente d'une médecine à deux vitesses, mais également sur celle des travailleurs pauvres (un emploi sur trois est en 2013 un mini-job) et celle de l'inégalité entre citoyens. La stratégie de la chancelière dans la campagne législative actuelle élude cependant systématiquement ces thèmes et met en avant le dynamisme économique du pays qui selon elle aurait beaucoup mieux résisté à la crise de l'euro que les autres. Le pourquoi de cette bonne situation, c'est-à-dire la structure exportatrice de l'économie allemande n'est cependant jamais évoquée et la question de l'importance d'avoir des économies voisines avec des structures dites de consommation, encore moins. Paradoxe intéressant, cette tentative de capitaliser uniquement sur les succès relatifs de l'économie nationale fonctionne. En effet, dans le pays du capitalisme rhénan, le patriotisme économique reste une valeur sûre qui agrège fortement les mentalités et les individus souvent au-delà des clivages partisans. En ayant systématiquement mis en avant l'économie dans son discours politique et rassuré sur son état grâce à sa politique décidée, Angela Merkel a su créer un climat où l'alternance politique n'a plus sa place.

L'ALLEMAGNE MOLLE

L'actuelle campagne pour les législatives est donc extrêmement difficile pour les partis d'opposition qui peinent à cliver l'opinion publique. Le candidat du SPD qui bénéficiait d'un capital sympathie conséquent en début de campagne (du pour partie à son rôle de ministre des finances de la précédente grande coalition) a vu, au gré des bourdes et de l'absence de couverture médiatique égales entre candidats, son électorat traditionnel lui échapper. Après un léger sursaut dû au débat télévisé l'ayant opposé à Angela Merkel, les sondages le placent actuellement à 26% d'intentions de vote, soit à trois points du plus mauvais score jamais enregistré par le parti lors d'élections législatives (2009). Ce n'est cependant pas faute d'avoir présenté un programme intéressant qui proposait par exemple, absolue nouveauté : une salaire minimum, une politique sociale et publique pour l'égalité entre les individus, une politique européenne de croissance et une attitude ouverte sur les libertés digitales. Malgré cela, à deux semaines de l'échéance plus de 70 % des électeurs allemands restent indécis sur leur vote final. Le SPD semble avoir également commencé à se résigner au climat de torpeur qui règne dans le pays. Les chefs du parti ont selon toute vraisemblance entamé des discussions avec les conservateurs afin de préparer un éventuel gouvernement de grande coalition. Solidarité partisane oblige, le candidat Steinbrück se retrouve parfois seul à défendre le programme que le parti a pourtant développé avec lui.

Selon toute vraisemblance et malgré la gestion calamiteuse du dossier sur le scandale de la NSA (Angela Merkel avait littéralement déclaré qu'il n'y a jamais eu d'écoutes américaines en Allemagne et que l'Internet était une "terre inconnue") le parti de la chancelière Merkel, actuellement crédité de 40% d'intentions de vote, arrivera en tête dans une dizaine de jours. Ce succès incontestable lui permettra en tant que vainqueur de l'élection de former la coalition gouvernementale. Celle-ci devant être selon toute vraisemblance avec les sociaux-démocrates mais sans Peer Steinbrück qui s'est engagé à ne pas y participer si une telle configuration devait sortir des urnes. Elle sera à n'en point douter la coalition de l'apathie, celle qui, en paraphrasant Chateaubriand dans ses Mémoires d'outre-tombe, arrive lors que l'égoïsme est général, que l'on se ratatine pour se soustraire au danger, pour garder ce qu'on a et finalement vivoter en paix.

Par Gabriel Richard-Molard, Secrétaire de la section de Cologne du PS et coordinateur des militants du PSE en Allemagne.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *