Elections en Bavière : « Une coalition “noire-verte” serait une révolution en Bavière »

En Allemagne, ce week-end, tous les regards seront braqués sur la Bavière. Dimanche 14 octobre, les Bavarois choisiront un nouveau parlement et un nouveau gouvernement. Ces élections régionales auront probablement un retentissement bien plus vaste : elles vont marquer la fin d’un modèle et le début d’une nouvelle ère pour le système des partis outre-Rhin.

Dans cette région surtout connue pour sa fête de la bière, l’Oktoberfest – où les festivités ont réuni jusqu’au week-end dernier des millions de bavarois et de touristes du monde entier, en Lederhose [culotte de peau courte traditionnelle bavaroise] et en Dirndl [robe traditionnelle bavaroise] –, l’ambiance est à la fête dans la région : le taux de chômage est à 2,8 %, l’économie est dynamique, les salaires élevés et les caisses de l’Etat bavarois excédentaires.

Modèle proportionnel

Le gouvernement n’a, par ailleurs, pas hésité à distribuer ces excédents en guise de cadeaux préélectoraux – subventions supplémentaires pour les familles, pour les personnes malades, ou pour l’accession à la propriété et à la construction. Ses paysages, entre Alpes et lacs, comptent parmi les plus beaux en Allemagne. Le Land jouit d’une très haute qualité de vie.

Mais les classiques images bon enfant de l’Oktoberfest sont trompeuses. Une transformation profonde est en train de se produire en Bavière et devrait se matérialiser ce dimanche. Le résultat régional pourrait même faire imploser le gouvernement fédéral à Berlin. Si ce dernier point est incertain, il y a déjà une certitude : ces élections marquent la fin du modèle qui a vu les grands partis traditionnels (Volksparteien) dominer la scène politique allemande, jusqu’alors capables à eux seuls de former une majorité, ou du moins, d’en prendre le clair leadership.

Certes, le modèle électoral allemand, très différent du modèle français, est un modèle proportionnel. Par conséquent, au niveau fédéral, la formation de coalitions de deux partis est la règle. Au niveau des Länder, certains partis arrivaient encore à former seuls une majorité de gouvernement. C’était le cas de la Bavière, où l’Union chrétienne sociale (CSU) [conservatrice] gouverne avec une majorité absolue au Parlement depuis le début les années 1960 – à l’exclusion de la période de 2008 à 2013 où la CSU dominait une coalition avec un partenaire « junior » faible, les libéraux du FDP, avant de regagner la majorité absolue en 2013.

Cette hégémonie dans un des Länder les plus importants en Allemagne était le socle d’une position de force de la CSU au niveau fédéral en tant que « parti sœur » de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, le parti conservateur présent dans toutes les autres régions allemandes. Inquiets et marqués par le faible résultat lors des élections fédérales de septembre 2017, les conservateurs bavarois ont pratiquement bloqué le travail du gouvernement au niveau fédéral, dans le seul intérêt de gagner les élections en Bavière.

Les Verts s’envolent dans les sondages

En considérant que le combat contre la montée de l’extrême droite passait par un durcissement de la politique migratoire, la CSU a déclenché plusieurs conflits au sein du gouvernement et avec la chancelière. Le dernier conflit en date, avant l’été, a presque eu raison de l’alliance des deux « Unions » sœurs et du gouvernement en place.

Cette stratégie semble, cependant, n’avoir pas porté ses fruits, au contraire : la CSU plafonne à 33 %-35 % dans les sondages, loin d’une majorité absolue obtenue il y a cinq ans, avec 47,7 % des voix. En outre, il semble, désormais, clair que les conservateurs bavarois vont devoir composer avec deux partenaires pour former une coalition – ou avec le seul parti capable de leur apporter une majorité parlementaire, mais qui leur est politiquement opposé : les Verts (Bündnis 90/Die Grünen). Ces derniers s’envolent dans les sondages et sont maintenant autour des 18 %, bien au-dessus des 8,6 % obtenus aux dernières élections régionales et des 8,9 % obtenus au niveau fédéral en 2017.

Pour la première fois dans l’histoire de la Bavière, la chaîne de télévision locale, le Bayerischer Rundfunk, a organisé un « duel » à la télévision entre le ministre-président actuel, Markus Söder (CSU), et un des deux candidats de tête des Verts, Ludwig Hartmann. L’autre candidate, Katharina Schulze, serait, à 33 ans, trop jeune pour le poste de ministre-présidente : l’âge requis par la constitution bavaroise étant de 40 ans. En dépit de cela, elle a été déclarée « meilleure oratrice » de la campagne électorale.

Les Verts convainquent avec un programme à l’opposé de celui de la CSU : clairement proeuropéens, ils entendent mettre fin aux contrôles spéciaux à la frontière avec l’Autriche mis en place par le gouvernement bavarois ; ils s’engagent pour une autre politique d’accueil et d’intégration pour les migrants ; ils réclament l’abandon d’une loi sécuritaire qui donne des pouvoirs élargis à la police – la loi la plus dure dans toute l’Allemagne, où la sécurité intérieure est une compétence des Länder.

Une option plus facile

Les écologistes veulent également limiter strictement l’artificialisation des terres à des fins de création de nouvelles zones industrielles – un sujet qui mobilise fortement dans les zones rurales – et ils sont favorables à la construction de nouveaux logements sociaux – la forte augmentation des loyers au cours des dernières années est un sujet important en Bavière.

Ces propositions s’inscrivent clairement en opposition à celles que formule la CSU. Malgré tout, il n’est pas impossible que la situation, dimanche, n’oblige CSU et Verts à coopérer pour former un gouvernement. Poussé tous les deux par le fait de faire barrage contre la montée de l’extrême droite. Une coalition avec celle-ci était exclue par la CSU. Une telle coalition dite « noire-verte » serait une révolution en Bavière et forcerait la CSU à revoir drastiquement sa ligne politique.

Selon les derniers sondages, six partis pourraient siéger au parlement bavarois : les sociaux-démocrates avec de 11 à 13 % ; les Freie Wähler, les électeurs libres, avec de 10 à 11 % ; l’extrême droite, avec l’AfD, entrerait pour la première fois avec entre 10 et 12 % des suffrages ; les libéraux du FDP ne sont pas assurés de rester au Parlement – leur score se situerait entre 5 et 6 % et le seuil pour y prétendre est à 5 %. Il en est de même pour le parti de gauche Die Linke, dont les scores oscillent entre 4 et 4,5 %.

L’option la plus facile pour la CSU serait de pouvoir former un gouvernement avec les libéraux, le FDP et les Freie Wähler, une force politique conservatrice bien implantée au niveau communal et composée essentiellement d’anciens militants de la CSU. Au sein d’une telle formation, la CSU pourrait continuer à mener sa politique actuelle au prix de quelques changements négligeables.

Attelage improbable

La deuxième option serait un gouvernement avec les sociaux-démocrates et les Freie Wähler – si tant est que les sociaux-démocrates soient prêts à entrer dans un gouvernement malgré un résultat historiquement bas et une piètre troisième ou quatrième place. Pour la première fois dans l’histoire de la Bavière, il pourrait y avoir même une possibilité de former un gouvernement sans les conservateurs : il s’agirait d’un gouvernement dirigé par les Verts et qui rassemblerait les libéraux du FDP, les Freie Wähler et le SPD. Cet attelage demeure toutefois politiquement improbable : les Freie Wähler ont exclu d’élire un ministre-président vert en Bavière.

En outre, contrairement à l’échelon fédéral, où la formation d’un gouvernement a pris des mois, les partis en Bavière ont seulement quatre semaines pour former le gouvernement après la constitution du nouveau parlement.

Cette situation – la présence possible de six partis au Parlement bavarois et l’impossibilité de former une « grande coalition » entre ceux qui étaient les « grands partis » de la démocratie allemande, les conservateurs et les sociaux-démocrates – marque la fin d’un modèle en Allemagne.

Si la rupture n’est pas aussi profonde que celle qu’a vécue la France, en 2017, elle demeure toutefois importante. La force de cohésion des grands partis a aussi diminué d’outre-Rhin ces dernières années, mais plus lentement qu’ailleurs en Europe. Ce développement s’est accéléré récemment avec la montée de l’extrême droite.

Secret de Polichinelle

De plus, ces élections risquent de faire imploser la coalition gouvernementale au niveau fédéral. La question de la responsabilité du score probablement historiquement bas de la CSU est déjà posée : le ministre-président et candidat de tête Markus Söder et le chef de la CSU et ministre fédéral de l’Intérieur, Horst Seehofer se renvoient la balle. Ce dernier était encore ministre-président de la Bavière il y a six mois – il a été poussé vers la sortie par Markus Söder lui-même.

L’aversion mutuelle entre les deux hommes est un secret de Polichinelle. Markus Söder tente d’ores et déjà de faire porter le chapeau à « eux, à Berlin » et aux conflits « politiciens » au niveau fédéral, mais Horst Seehofer a répondu, qu’il comptait garder son poste et qu’il a toujours agi en accord avec Markus Söder.

Le scénario le plus probable est une sorte de « deal » entre la chancelière Angela Merkel et le ministre-président encore en place Markus Söder pour forcer le ministre de l’intérieur Horst Seehofer à se retirer du gouvernement et de la présidence de la CSU. Il n’est pas dit que celui-ci accepte d’être le dindon de la farce et qu’il ne préfère pas plutôt faire voler en éclats le gouvernement fédéral. Vu l’affaiblissement de la chancelière – dont le candidat à la présidence du groupe parlementaire conservateur a perdu il y a deux semaines –, un tel scénario n’est pas à exclure.

Les élections du 14 octobre sont donc loin d’être une simple formalité électorale et elles méritent que la France s’y intéresse : leurs effets pourraient se faire ressentir bien au-delà du pays de l’Oktoberfest, au niveau national, et, de facto, au niveau européen

Par Jens Althoff, Docteur en sciences politiques, directeur du bureau français de la Fondation Heinrich-Böll.

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