Elections en Italie : "un rejet de l'austérité, pas de l'Europe"

Les résultats des élections italiennes sonnent comme un avertissement à l'Europe : la construction européenne est en danger car elle a perdu son sens civilisationnel. Il est dès lors vital de relancer la construction de l'Union européenne (UE) en replaçant ses valeurs fondamentales au cœur de son projet politique.

En novembre 2011, les marchés et les principaux dirigeants politiques européens avaient salué à l'unisson la nomination de Mario Monti à la présidence du conseil italien, car ils y voyaient l'assurance de l'application de la politique d'austérité qu'ils souhaitaient.

Le même mois, ils avaient applaudi l'accession de Lucas Papademos au poste de premier ministre en Grèce, après que George Papandréou avait du démissionner suite à sa proposition de référendum sur le plan d'austérité imposé par la troïka. La pression que l'UE avait alors exercée pour que la coalition soit la plus large possible, et assurer ainsi l'adoption du plan, avait pourtant poussé à l'entrée au gouvernement du LAOS, parti d'extrême droite antisémite et raciste, revendiquant fièrement sa filiation d'avec la dictature des colonels.

Quelque quatorze mois plus tard, les élections italiennes montrent un fort rejet d'une Europe assimilée à l'austérité et à la technocratie. Le populiste Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui dialogue avec les fascistes et parle de l'immigration comme d'une "bombe à retardement" sur l'air du "tous pourris", a cristallisé ce rejet pour devenir la troisième force politique du pays.

De même, l'austérité sans limite imposée à la Grèce n'a cessé d'approfondir la défiance de la population vis-à-vis de l'Europe. L'entrée au gouvernement du LAOS, suivie par son effondrement électoral, a ouvert la voie au parti néo-Nazi Aube Dorée qui instrumentalise avec succès cette défiance et utilise avec efficacité la lutte contre l'immigration et contre Bruxelles comme discours de façade, leur idéologie structurante restant l'antisémitisme.

UNE VICTOIRE DU COURT-TERME SUR LA DÉMOCRATIE

Ainsi, le choix de dirigeants dits "techniques", en réalité appuyés par les marchés et l'UE, apparaît aujourd'hui clairement comme une victoire de la bureaucratie, de certains intérêts privés et du court-terme sur la démocratie, l'intérêt général et le projet européen de civilisation.

Cependant, le rejet de l'Europe de l'austérité auquel on assiste dans les urnes en Italie et en Grèce, mais également dans la rue en Espagne, au Portugal et dans de nombreux autres pays, est un rejet de l'austérité, pas de l'Europe.

Les populations résistent à la violence économique et sociale que l'UE et d'autres acteurs tentent de leur infliger, en même temps que se déploie une intense envie de vivre ensemble en Europe, fondée sur un formidable réservoir de solidarité européenne.

De trop nombreux dirigeants politiques se sont détournés de la construction européenne, comme en atteste le minimalisme du projet de budget européen, alors qu'elle remporte l'adhésion de la société civile européenne quand elle signifie paix, égalité entre les individus, démocratie, progrès social et accroissement des libertés individuelles et collectives.

Pour relancer l'adhésion à l'UE, faute de quoi elle péricliterait sous le poids de son illégitimité démocratique, il est urgent que les dirigeants européens réenclenchent une dynamique de construction de l'Union sur ces bases.

Pour cela, il est important qu'ils entendent enfin la désespérance sociale qui monte ainsi que le désir d'Europe de la société civile, qu'ils résistent aux pressions des marchés et aux oiseaux de mauvais augure qui voient dans la montée des nationalismes une fatalité dont il faudrait s'accomoder mais qu'il serait impossible de vaincre.

REMETTRE LES VALEURS FONDAMENTALES DE L'EUROPE AU CŒUR DES POLITIQUES EUROPÉENNES

Il faut changer l'ordre de priorité des politiques européennes, pour remettre en leur cœur les valeurs fondamentales de l'Europe, celles qui ont présidé à sa fondation, à la signature du traité de l'Elysée, à la réunification allemande et à l'élargissement de l'Union.

Alors qu'il venait d'être expulsé de l'Université allemande parce qu'il était juif et que son nom était effacé par son élève Heidegger de la dédicace de Etre et temps, le philosophe Husserl appelait de ses vœux, dans une conférence prononcée en 1935 à Vienne, la constitution d'une identité européenne partagée. Elle lui apparaissant alors comme la seule perspective à même de contrer l'expansion du national-socialisme en Europe.

Aujourd'hui, dans un contexte de montée du racisme, de l'antisémitisme et des nationalismes en Europe, cet appel redevient d'une brûlante actualité. La société civile européenne y répond avec l'enthousiasme et la gravité que la situation politique exige, en s'inspirant des valeurs fondatrices de l'Union.

Pour éviter la déliquescence de l'Europe et, partant, le déclassement et le chaos, les dirigeants européens doivent à leur tour s'engager résolument pour la constitution d'une identité européenne composite et partagée.

Son avènement permettrait de redonner au projet européen le souffle historique qui lui manque cruellement aujourd'hui et sans lequel son existence même est menacée, faute de sens. Le sens retrouvé de la construction européenne emporterait ainsi l'adhésion large de la population européenne pour un avenir partagé, loin des funestes perspectives que tracent les résultats des élections italiennes.

Benjamin Abtan, président du Mouvement Antiraciste Européen - EGAM

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