Elections européennes dans l'Est de l'Europe : l'état des lieux

Les élections européennes du 26 mai n’ont pas produit le tsunami national-populiste que certains annonçaient, mais elles installent ces forces montées en puissance au cours de la dernière décennie dans le paysage politique européen. Les pays d’Europe du Centre-Est accentuent cette tendance, mais les élections ont aussi révélé en Pologne, en Slovaquie ou en Roumanie une opposition libérale pro-européenne.

Le Fidesz de Viktor Orbán (52%) de même que le PiS de Kaczynski (45%), grands défenseurs de l’Europe chrétienne face aux invasions migratoires, sortent vainqueurs de l’épreuve européenne renforçant leur emprise à l’intérieur. C’est en partie aussi le cas à Prague pour Andrej Babis et son parti ANO («Oui»). Babis, coiffé d’une casquette rouge à la Trump a mené une campagne que ne désavouerait pas ce dernier: «Une Tchéquie forte» – équivalent de «make Czechia great again» – sur la casquette et comme slogans de campagne: «Nous défendrons la Tchéquie. Durement et sans compromis.» Défense contre qui? Bruxelles? Sans compromis? Mais toute l’histoire de l’Union européenne est une histoire de négociations permanentes pour trouver des compromis. Cependant les populistes de l’Est ne forment pas un bloc, comme ce fut le cas pour le refus du Groupe de Visegrad des quotas de migrants après 2015. D’abord, ils n’appartiennent pas aux mêmes familles politiques au plan européen: Fidesz fait partie du PPE de la droite classique, le PiS est allié aux conservateurs britanniques (sur le départ et en déroute complète pour cause de Brexit non-assumé), et ANO de Babis souhaite rester chez les libéraux d’Alde.

Des forces libérales et pro-européennes

Deuxième leçon: toute action produit une réaction. Les élections européennes ont permis l’émergence de nouvelles forces politiques libérales et pro-européennes. En Pologne, c’est l’enjeu européen qui a permis de cristalliser une coalition de l’opposition de centre gauche de libéraux et sociaux-démocrates dont le score (38%) suggère qu’il existe désormais une possibilité pour l’opposition de renverser le pouvoir du PiS lors des élections législatives à l’automne. L’Europe, qui a le soutien de ¾ des Polonais, a favorisé la formation de cette alternative de politique intérieure. C’est cela «l’européanisation» de la politique et de la démocratie. En Slovaquie, dans le sillage de la victoire de Zuzana Caputova à l’élection présidentielle, une nouvelle force politique «la Slovaquie progressiste» a gagné les élections européennes (20%) aux dépens de nationalistes populistes de gauche du parti SMER de Robert Fico décrédibilisés après le meurtre d’un journaliste, Jan Kuciak, qui enquêtait d’un peu trop près sur la corruption et le détournement de fonds européens. De la mobilisation de la société civile contre la corruption à l’émergence d’une force politique politiquement libérale pro-européenne.

Scénario pas très éloigné de la Roumanie où un nouveau parti libéral et pro-européen, USR a fait une percée (21%) même s’il est devancé par les conservateurs et les socialistes au gouvernement. Ses électeurs: jeunes, urbains, plus éduqués (grandes villes et la Transylvanie) qui voient dans l’UE un contrepoids nécessaire aux dérives qui menacent l’Etat de droit. La condamnation de Liviu Dragnea, l’homme fort du parti social-démocrate au pouvoir, le lendemain de l’élection est perçu en Roumanie comme la confirmation de ce lien. Pas ou très peu de Verts en Europe de l’Est, grand contraste avec l’Allemagne ou la France, mais les libéraux pro-européens se réveillent.

Connivences politiques

Mais surtout: la grande recomposition de l’Europe autour d’un pôle souverainiste et xénophobe annoncée par Orbán et Salvini n’aura pas lieu. En tout cas pas tout de suite. Malgré les convergences affichées Orbán et Kaczynski avec Salvini au cours de la campagne, personne en Europe centrale n’a manifesté l’intention de rejoindre au Parlement européen une formation d’extrême droite avec Salvini, Le Pen et consorts. Les populistes d’Europe centrale (Fidesz, PiS) représentent une droite ultraconservatrice qui ne laisse quasiment pas de place sur sa droite. C’est leur réponse au dilemme de la droite conservatrice du PPE face à l’extrême droite (cordon sanitaire ou coalition). Le Fidesz a «dévalisé le magasin» du Jobik, parti d’extrême droite réduit à la portion congrue avec 6%. L’Autriche et l’Italie représentent l’autre modèle depuis l’entrée au gouvernement du FPÖ en Autriche et de la Ligue de Salvini en Italie. Il est à noter que les connivences politiques de ces trois pays sont anciennes. Dans les années 30, le chancelier Dolfus en Autriche trouvait un soutien d’abord chez Horthy en Hongrie et Mussolini en Italie. Janos Kadar, le leader communiste hongrois après l’écrasement de la révolution de 1956 et longtemps persona non grata en Europe occidentale, amorça plus tard ses premières ouvertures diplomatiques d’abord vers l’Autriche de Kreiski puis vers l’Italie. L’éclatement de la coalition autrichienne suite à la vidéo de Strache, le leader du FPÖ prêt à se vendre aux Russes, compromet par la même le modèle de la coalition droite avec l’extrême droite.

L’interrogation à propos du national-populisme n’est donc plus «la nouvelle Europe centrale est-elle la question centrale de l’Europe ?» mais plutôt transeuropéenne: la recomposition politique intérieure (droite avec ou sans extrême droite) va de pair avec le clivage entre forces pro-européennes et les souverainistes xénophobes qui travaillent à la déconstruction du projet européen.

Ce constat implique deux choses par rapport au dilemme évoqué ici. Le choix de PPE par rapport à Orbán (suspendu pour six mois) sera important pour la redéfinition des valeurs et des clivages politiques en Europe. Emmanuel Macron laisse entendre que toute entente avec le PPE est exclue tant que le Fidesz fait partie du PPE qui tient à rester un pilier fondamental de la construction européenne. La balle est dans le camp d’Angela Merkel et AKK.

Quand dans les grands pays démocratiques d’Europe occidentale les vainqueurs des élections européennes s’appellent Salvini, Le Pen, Farage, on ne peut plus s’ériger en donneur de leçons vis-à-vis de l’Europe de l’Est de Kaczynski et Orbán. C’est plutôt une invitation à la réflexion transeuropéenne sur une Europe qui, trente ans après la chute du Mur, a perdu ses illusions sur le triomphe irrésistible de la démocratie libérale et doit se trouver une riposte aux adeptes de la déconstruction.

Jacques Rupnik (avec Pavel Seifter) est l’auteur de: Europe at the Crossroads: Democracy, Neighbourhoods, Migrations, Prague, Vaclav Havel Library, 2018.

Par Jacques Rupnik, directeur de recherches au CERI, Sciences Po.

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