Emotion collective après les attentats : n’en faisons pas trop

A trop montrer – en boucle dorénavant sur toutes les chaînes de télévision – les attentats terroristes dans leurs aspects les plus sordides, à multiplier les témoignages de gens éplorés, forcément on stimule les appétits guerriers d’apprentis terroristes en mal de reconnaissance sociale. Les médias, le regard rivé sur l’audimat – le voyeurisme, souvent inconscient, du public faisant le reste –, créent ainsi des vocations meurtrières par simple contagion.

Pour un terroriste, voir sur les écrans un frère abattu, avec photo à l’appui, constitue un puissant stimulant au passage à l’acte meurtrier car, pour un fanatique islamiste, la mort est bien l’offrande suprême de Dieu. L’exécution d’un terroriste sur la scène de crime, que nous tenons pour une défaite infligée à l’islamisme, est au contraire considérée comme une victoire par notre adversaire. Tomber sous les balles des « mécréants », en plus de vous transformer en héros, vous ouvre les portes du paradis.

Ajoutons que la diffusion en boucle des images des crimes terroristes crée pareillement chez tous les déséquilibrés mentaux une volonté d’agir (on vient de le voir à Marseille avec l’attaque d’un Abribus). Djihadistes et malades mentaux savent parfaitement qu’il faut commettre un acte ignoble pour mobiliser l’appareil médiatique. Ils profitent seulement de l’opportunité offerte.

Il faut moins d’images télévisuelles

A trop scénariser enfin l’émotionnel collectif, on encourage tout autant les actions criminelles. Par toutes ces démonstrations réactives de recueillement, de prières, de défilés, nous montrons moins aux fanatiques que nous sommes solidaires, rassemblés, qu’éprouvés, affectés par les actes d’horreur commis.

C’est donc bien d’abord une image de faiblesse émotionnelle que nous renvoyons à nos ennemis qu’une image de force mentale. Voir des visages affligés, en larmes ou des sanglots dans la voix, en quoi cela atteste-t-il en effet d’une détermination « à ne pas se laisser faire » ?Il faut donc moins d’images télévisuelles, moins d’expressions collectives émotionnelles. Les victimes après tout ont aussi le droit de ne pas être instrumentalisées par ces pseudo-cérémonies empathiques qui leur sont rendues.

Concluons en interrogeant le sens des expressions publiques émotives. Officiellement, recueillements, défilés, minutes de silence, mises de drapeau en berne, messes sont jugés manifestations de soutien, de respect, d’hommage aux victimes et familles de victimes. Elles le sont évidemment.

Irrésistible spirale de l’émotivité

Mais le débordement actuel et l’intensification, dans le temps, doivent interpeller. L’attentat à Barcelone détient ici le record à la fois des formes d’expression émotive, du nombre de personnes et d’institutions, politiques ou religieuses, impliquées dans la procédure empathique et dans le nombre de journées d’hommages divers (une semaine déjà pour Barcelone). Nous sommes avec cet événement dans une irrésistible spirale de l’émotivité, applicable, comme on le sait, à tous les événements sociaux douloureux.

Pourquoi tant d’émotion ? Parce que dans nos sociétés ultra-individualistes, anonymes, un rassemblement a d’abord fonction, pour chaque individu, d’attester sa propre existence dans la société, pour s’y faire reconnaître. Il ne peut le faire qu’au milieu des autres.

Par Michel Fize, sociologue. Elle a publié Les Larmes de Charlie... et Cie (LGO, 2017, 68 pages, 12 euros).

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