En abandonnant les réfugiés, l'Europe abandonne aussi son âme

Arrivée de migrants sur l'île de Lesbos, le 5 mars. Photo Louisa Gouliamaki. AFP
Arrivée de migrants sur l'île de Lesbos, le 5 mars. Photo Louisa Gouliamaki. AFP

Voilà que ça recommence. Une nouvelle fois, l’Europe s’égare dans une pente sombre et honteuse, emmenant les Européens avec elle. Cette Europe qui nous repasse en boucle les images insoutenables des pratiques inhumaines qu’elle déploie à ses frontières. Des bateaux – plus précisément des canots – sont la cible de tirs de gardes-côtes. Des gaz lacrymogènes sont utilisés contre des mères qui tiennent leurs bébés dans les bras. Une petite fille est morte noyée alors que l’embarcation sur laquelle elle se trouvait a chaviré. C’est tragique et c’était évitable.

Au lieu de compassion, c’est de nouveau en langage de guerre que parlent nos dirigeants. Le Premier ministre grec, Kyriákos Mitsotákis, réduit les graves violences exercées par les gardes-frontières à une simple «défense des frontières de l’UE» et à une «protection de la souveraineté de la Grèce».

Un «bouclier» contre qui ?

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté et même salué la Grèce comme le «bouclier» de l’Europe. Mais un «bouclier» contre qui, madame Von der Leyen ? La plupart de ces enfants, femmes et hommes fuient des pays déchirés par la guerre. Ils se retrouvent bloqués pendant des semaines dans des camps ignobles, en même temps que leurs vies font l’objet de jeux politiques au mépris de leur droit à demander l’asile, pourtant consacré par la loi et les principes.

Prenons l’exemple de la petite île de Lesbos, où je m’étais rendue en octobre. Lesbos héberge aujourd’hui 20 000 réfugiés – près de la moitié sont des enfants – entassés à Moria, l’un des hot spots de l’UE initialement construit pour accueillir moins de 3 000 personnes.

Ce n’est pas tout. L’absence de solution ou d’engagement en matière de partage de responsabilités et d’accueil des réfugiés entre les Etats membre de l’UE a alimenté les tensions sur les îles grecques, et joué en faveur des extrémistes et des xénophobes. Ces groupes ont menacé et attaqué des réfugiés mais aussi les personnes qui les aidaient. En conséquence, et en raison de ces menaces à la sécurité des demandeurs d’asile et du personnel, des centres communautaires, vitaux pour les femmes réfugiées, et les services de conseil juridique ont été fermés. Cela ne fait qu’empirer la situation des milliers de personnes vulnérables contraintes de dormir dehors, sans moyens élémentaires d’hygiène, toilettes ou douches fonctionnelles, et sans accès à des soins médicaux de base.

Lorsque la Grèce a annoncé le 1er mars qu’elle suspendrait toutes les demandes d’asile pendant un mois, il s’agissait, simplement et clairement, d’une violation du droit européen et international, des lois que notre continent a contribué à mettre en place après les horreurs du début du XXe siècle. Des lois qui ont sauvé des millions de vies pendant des décennies. D’autres ministres de la Justice et de l’Intérieur de l’UE auraient dû immédiatement condamner cette violation dans les termes les plus fermes. Ils ne l’ont pas fait.

Lorsque les ministres de l’Intérieur de l’UE ont tenu une réunion extraordinaire à Bruxelles le 4 mars pour discuter de la situation à la frontière gréco-turque, ils ont exprimé leur solidarité avec la Grèce et les pays européens concernés et se sont engagés à soutenir la «gestion» des frontières européennes. Pas une seule expression de solidarité envers les gens piégés et bloqués. De personne. Les ministres n’ont pas dénoncé l’augmentation des attaques racistes contre les réfugiés ni contre les bénévoles et les travailleurs humanitaires qui les soutiennent.

Il est plus que temps que la Commission européenne et les gouvernements de l’UE cessent d’utiliser des personnes qui fuient la guerre, la violence, la misère et la faim comme les pions d’un jeu politique cynique.

Des migrants font face à la police grecque, le 3 mars, sur l'île de Lesbos. Photo Angelos Tzortzinis. AFP
Des migrants font face à la police grecque, le 3 mars, sur l'île de Lesbos. Photo Angelos Tzortzinis. AFP

Plus jamais

Notre Union européenne a au tréfonds de son ADN le respect des droits humains et la protection des personnes qui cherchent un refuge. C’est ce qui nous rend fiers et devrait faire de notre communauté un phare pour la paix dans le monde. En Europe, nous avons appris à plusieurs reprises la terrible leçon de ce qui se passe quand les personnes sont privées de protection internationale et refoulées aux frontières. Nous, Européens ensembles, avions juré : plus jamais.

Les Etats membre de l’UE ont encore la possibilité de se rassembler et de s’engager à partager véritablement la responsabilité des enfants, des femmes et des hommes qui ont besoin d’être protégés contre les conflits, la violence et les violations des droits humains. La majorité des personnes déplacées de force dans des pays comme la Syrie sont déplacées dans leur propre pays et dans les régions voisines. L’UE peut faire partie d’une solution politique visant à résoudre les conflits et devrait continuer à soutenir les personnes dans le besoin avec une assistance humanitaire. Elle doit aussi se comporter avec humanité envers les personnes en quête de sécurité sur son propre territoire.

A l’extérieur de la réunion de mercredi du Conseil Justice et Affaires intérieures à Bruxelles, une foule s’est rassemblée en faisant retentir des cris à travers une pluie battante : les réfugiés sont les bienvenus ! Nous devons agir maintenant pour mettre fin à l’insupportable tragédie humaine qui se déroule à nos frontières et pour envoyer un message clair aux citoyens européens : la promotion des valeurs européennes ne peut que signifier la défense des droits de l’homme.

Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *