En Afghanistan, l’issue est sociale

A l’heure où le président Obama et ses alliés s’interrogent sur l’efficacité de leur présence en Afghanistan et cherchent une issue, on doit se demander s’il n’existe pas de solutions économiques et sociales susceptibles de transformer un engagement militaire controversé en vision politique constructive. L’analyse hâtive de George Bush et de ses conseillers - assimilant à tort une partie de la population afghane aux terroristes d’Al-Qaeda - a amené les armées occidentales à commettre une succession de choix hasardeux, de maladresses coupables, de bombardements aveugles dont les conséquences se révèlent aujourd’hui désastreuses. De troupes de libération, les contingents étrangers sont devenus aux yeux des Afghans une présence militaire dépourvue de légitimité. A nouveau, les réfugiés pachtouns affluent au Pakistan où ils sont endoctrinés par les fondamentalistes et l’arrivée en Europe de jeunes clandestins afghans connaît une recrudescence inquiétante. Enfin l’aide économique massive (plus de 75 milliards d’euros), censée accompagner l’envoi de troupes, accouche essentiellement de rapports onéreux sans prise avec les réalités sociales, favorise la corruption et ne parvient qu’accidentellement aux populations civiles.

Depuis 2001, les grandes villes afghanes s’ouvrent de manière chaotique au progrès. Des chaînes de télévision privées - telles que Tolo TV, Ariana TV ou Tamadon TV- sont apparues et diffusent chaque jour des programmes politiques et culturels regardés avec ferveur par la jeunesse afghane (plus de 60 % de la population) ; les téléphones portables, les ordinateurs et Internet rentrent dans les mœurs et le microcrédit fleurit ; trois redoutables menaces pour les talibans qui profitent encore de l’ignorance de la population. A côté des jeunes, les femmes afghanes portent tous les espoirs d’évolution vers une société plus développée, plus équitable et plus tolérante. Elles ne demandent qu’à être le moteur d’un changement radical qui tournera définitivement le dos à la pauvreté, à l’obscurantisme, à l’analphabétisme et à la culture du pavot.

Les solutions économiques préconisées récemment par les dirigeants des pays donateurs doivent aller au-delà de la construction d’écoles, de routes et de centrales électriques pour s’ouvrir à des solutions plus ambitieuses qui donneront naissance à un système social consensuel et irréversible. Déjà expérimentée avec succès au Brésil, la mise en place d’un salaire familial constitue la pierre angulaire de cette alternative sociétale. Le principe est simple : verser chaque mois aux mères de famille afghane un salaire de 80 euros, soit la rémunération mensuelle d’un fonctionnaire.

Pour en bénéficier, chacune d’elles devra se faire recenser localement auprès de fonctionnaires féminines dépendant du ministère des Affaires sociales et des Femmes et donner une adresse identifiable ; elle devra s’engager à envoyer ses enfants à l’école et renoncer à ce que les hommes de sa famille cultivent localement du pavot, ce qui deviendra une clause suspensive en cas d’infraction avérée.

Ces dispositions conjointes apporteront des réponses opérationnelles aux grands enjeux de la société afghane :

la reconnaissance d’une identité nationale à travers la remise d’une carte d’identité, indispensable pour percevoir un salaire familial mensuel ;

la création d’un cadastre qui s’accompagnera de l’attribution de noms et numéros de rues, se traduisant pour chacun par une adresse officielle ;

l’incitation des enfants à la scolarisation et aux soins médicaux ;

un frein à la culture du pavot ;

et la garantie que l’aide internationale ira bien aux populations civiles, ce qui rendra caduque la corruption.

Les sommes impulsées annuellement via ces salaires familiaux, évaluées à 6 milliards d’euros - soit moins de 10 % de l’aide internationale - seront financées par une participation conjointe des pays donateurs.

L’urgence est de faire du salaire familial une priorité nationale qui dépasse les préoccupations ethniques et religieuses actuelles. Sa mise en place pourrait se dérouler progressivement. Dans un premier temps, son expérimentation se ferait dans une dizaine de provinces, puis serait étendue à l’ensemble du pays. Depuis novembre 2001, les actions militaires contre les fondamentalistes ont montré leurs limites. Ce projet économique et social, loin d’être utopique, représente une alternative réaliste, adaptée aux vraies attentes. Plus que jamais, l’avenir de l’Afghanistan repose dans les mains des femmes et de la jeunesse, étrangères à toute guerre.

Atiq Rahimi, écrivain et réalisateur (prix Goncourt 2008 pour Syngué Sabour. Pierre de patience, P.O.L.) et Laurent Maréchaux, écrivain voyageur.