En Afrique australe, l’influence chinoise n’a plus de limites

Il y a 23 ans, Nelson Mandela et Yasser Arafat assistaient à la naissance de la Namibie indépendante, à laquelle avaient collaboré d’ailleurs 600 Bérets bleus médicaux suisses. D’abord colonisée par l’Allemagne de Bismarck (1884-1914), elle fut confiée ensuite à la Grande-Bretagne par le traité de Versailles (1919) qui la confia à son tour à sa colonie sud-africaine. Un mandat que la République sud-africaine tenta de garder jusqu’en 1990 pour contenir le conflit Est-Ouest qui se jouait à ses frontières.

Enfant chéri de l’Afrique, la Namibie avait tout pour réussir dans son berceau: très peu de dettes, des ressources naturelles importantes (uranium, diamants, cuivre, pêche, viande), une bonne infrastructure routière, des institutions stables, un climat agréable… Le miracle s’est métamorphosé en mirage. Les 10% de l’élite namibienne s’enrichissent impunément et ce sont des étrangers, surtout les Chinois, qui cueillent aussi les fruits du miracle namibien, laissant une partie du peuple dans la pauvreté.

Selon le rapport 2013 des Nations unies sur le développement humain, ce pays appelé «pays moyen supérieur» par les institutions financières a reculé de 27 rangs et se retrouve au 128e rang sur 200. Cet indice concerne l’espérance de vie, l’alphabétisation, l’éducation, la mortalité infantile, le chômage, etc. La prospérité économique offre un contraste frappant, entre d’un côté la fièvre immobilière, les gros 4x4, les immenses centres commerciaux et l’absence de redistribution des richesses acquises dans ce pays (The Namibian , 22.03.2013). La Namibie a la triste réputation, selon le programme de l’ONU pour le développement, d’être au sommet de la liste des piètres redistributions! Les grandes promesses de l’indépendance où, pour combattre la colonisation sud-africaine, il n’était question que de droits de l’homme, de dignité humaine, de justice sociale, se sont évanouies dans le désert. La dette serait de 67%, y compris les emprunts, selon un analyste indépendant.

Une situation dangereuse dans laquelle on force la croissance sans penser aux limites imposées par l’eau et l’environnement.

L’avidité de la classe dominante namibienne, comme partout dans le monde, n’est pas la seule raison. Les Chinois, qui paient en grande partie les dettes namibiennes, se permettent de faire ce qu’ils veulent dans ce pays, demandant en échange des terres pour l’exploitation minière (uranium notamment) et des visas pour leurs travailleurs. Areva Uranium a quitté la Namibie parce que la densité d’uranium était trop faible et les prix trop bas après Fukushima. De même, Rössing Uranium (Rio Tinto), après 30 ans d’exploitation, a mis au chômage 276 travailleurs. Pourtant, cela ne gêne pas les entrepreneurs chinois d’ouvrir la mine Zhonge, en doublant la surface d’exploitation puisque la densité est faible… L’attribution de la licence d’exploitation s’est faite sans consulter les experts publics, choqués par ces méthodes. Bien sûr, le directeur de la mine promet la création de places de travail, mais tout le monde sait que ces promesses ne seront qu’à moitié tenues. L’Australie, le Canada, la Grande-Bretagne ont aussi des participations dans des mines namibiennes, de même que l’Iran et la Corée du Nord.

En vérité, il ne se passe pas une seule semaine sans qu’il n’y ait de plaintes contre cette communauté et ses entrepreneurs qui respectent peu ou pas du tout les lois locales, sociales et environnementales. En effet, la Namibie dispose d’une Constitution modèle et de lois importantes sur les conditions de travail, l’exploitation des mines et l’environnement, de syndicats bien organisés, et de la liberté de presse. En dix jours à peine, un ministre et un chef de la police se sont élevés contre les manières plutôt coloniales des Chinois. Bernhard Esau, ministre de la Pêche, a rappelé à l’ordre les bateaux de pêche chinois qui se servent à loisir de langoustes et de sardines sans respecter les quotas, et dont les capitaines reçoivent très mal les contrôleurs, qui constatent également les conditions de travail déplorables des marins. «Tenez-vous-en aux lois ou allez-vous-en!» a dit le ministre. C’est dire la colère grandissante des travailleurs namibiens, craignant de voir diminuer les fonds poissonneux, ce qui entraînerait le chômage des petites entreprises de pêche, en règle avec leur permis et défendues par leurs syndicats.

De son côté, Festus Shilongo, le chef de la police de la région de Khomas (Nampol), a convoqué à la capitale, Windhoek, les représentants de la communauté chinoise pour leur dire que les étrangers doivent s’en tenir aux lois et à la Constitution namibienne, violée par des cas de corruption, de vols, de criminalité, de blanchiment d’argent, etc. «Il y a parmi vous des personnes qui sont recherchées par la police chinoise et qui ne peuvent plus retourner dans leur pays, nous les connaissons.»

L’ambassadeur de Chine en Namibie, Xin Sunkang, a répondu que ces remarques ne touchaient que quelques personnes. Il a assuré que la Chine et la Namibie étaient de bons amis, que les échanges commerciaux avaient augmenté de 65%, que le gouvernement chinois soutenait le peuple namibien depuis la guerre de libération. Mais, comme pour l’Afrique du Sud, les échanges commerciaux sont nettement en faveur de la Chine, ce dont se plaint en sourdine le président sud-africain, Jacob Zuma.

Que se passe-t-il vraiment dans cette Afrique australe en voie de métamorphose? La réponse se trouve dans le récent sommet des BRICS (Russie, Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud) à Durban. Ces pays se sont réunis pour établir les bases d’une banque du développement qui devrait remplacer le FMI et la Banque mondiale, car ces pays veulent mettre un terme à l’influence occidentale dans cette région et prendre le relais. La monnaie chinoise, le yuan, devrait aussi devenir la monnaie d’échange.

Pour entraîner la jeunesse namibienne – qui n’a pas connu la colonisation sud-africaine – dans cette nouvelle donne, les Chinois sacralisent tout d’un coup les héros de la lutte de libération, dont on ne parlait d’ailleurs plus depuis longtemps. Dans la même veine, la Chine paie aussi l’établissement d’une «école idéologique» en Tanzanie pour former la jeune génération sur le rôle des mouvements de libération en Afrique australe, qui sont d’ailleurs encore tous au pouvoir après plus de 20 ans…

Pour les dirigeants actuels de la Namibie, il s’agit de garder le pouvoir économique et politique «coûte que coûte». Les Eglises, qui avaient lutté avec eux pour la libération, sont devenues étrangement silencieuses.

Christine von Garnier

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