En Algérie, l’inquiétude a cédé la place à la fierté

Le 22 février, les Algériens sont sortis dans toutes les grandes villes algériennes pour manifester contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, président depuis vingt ans et, de surcroît, malade et absent de la scène politique. Ils revendiquaient des élections présidentielles dignes d’une Algérie indépendante. Quand l’appel à cette manifestation a été donné, les Algériens, en Algérie et dans le monde entier, ont retenu leur souffle. Suspendus à leurs écrans à l’affût de toute information. Tiraillés par la peur et l’angoisse.

Tous voulaient ces manifestations, car tous voulaient exprimer leur refus de ce mandat, mais tous avaient le cœur rempli d’inquiétude. Ils avaient peur des scènes de violence, de casse, de pneus brûlés, de jeunes blessés ou arrêtés, et de « qamis » blancs courant dans les rues d’Alger. Cependant dès que les images de ces manifestations ont été retransmises, l’inquiétude a cédé la place à la fierté. C’était un après-midi incroyable et magistral.

Le droit de choisir démocratiquement

Le peuple a été au summum de la maturité politique. Il s’est exprimé de la manière la plus sage, la plus lucide, la plus intelligente et la plus civilisée. Il est sorti de son silence sans violence, ni heurts. Il a contrecarré toutes les hypothèses des plus grands analystes politiques. Les années de terrorisme et les expériences malheureuses de certains peuples ont très probablement beaucoup à voir avec cette maturité qui ne s’exprime pas seulement dans le rejet de la violence, mais aussi à travers les revendications soulevées. Les Algériens ne veulent pas mettre le gouvernement du pays dans les mains d’un homme en fin de parcours politique et en fin de vie. Ils revendiquent leur droit de choisir démocratiquement à qui confier leur avenir.

Ils ne veulent pas non plus se contenter d’une photo d’un président, ils veulent avoir un vrai président qui leur parle et réponde à leurs questions et leurs préoccupations. S’ils n’ont jamais oublié la guerre et la violence, ce qui explique en grande partie la maturité avec laquelle ils se sont exprimés, ils désirent vivre dans un pays en paix qui leur permette également l’épanouissement social, intellectuel, culturel et économique. La majorité de ceux qui ont manifesté et continuent de le faire partout dans le pays sont des jeunes. Ils rêvent d’un pays où ils pourront vivre dignement et où la justice et la liberté seront les principes. Ils ne souhaitent pas partir en quête d’une autre terre qui puisse les adopter. Qu’y a-t-il de plus légitime ?

L’Etat n’a pas d’autre choix que d’écouter les revendications du peuple. Il ne doit pas seulement les écouter, il doit aussi y répondre avec la même maturité politique que celle du peuple qui l’interpelle, ou même un peu plus. Le peuple a démontré qu’il ne veut pas de violence, c’est à l’Etat de suivre. La situation ne laisse pas d’autre choix que de le faire.

Il est donc indispensable que l’Etat évite que la colère sage du peuple ne se transforme en colère acerbe ; que la violence finisse par se présenter comme le seul moyen de faire valoir ses droits. L’Algérie ne supportera pas une autre vague de violence. Les Algériens ont connu assez de souffrances et assez de douleurs. Ils n’en veulent pas d’autres.

La stabilité du pays est certainement primordiale, mais elle dépend entièrement de l’Etat. Le peuple l’a interpellé et c’est à lui de répondre d’une manière qui calme les esprits ; c’est à lui que revient le pouvoir de décision. La situation est telle qu’aucun intérêt personnel ne doit prévaloir sur l’intérêt de l’Algérie et de son peuple. Il est impératif que tous les Algériens, le peuple et ceux qui ont le pouvoir de décision, soient à la hauteur de cette phase difficile et sensible que traverse le pays, afin de le propulser vers la modernité et de lui éviter de sombrer dans une violence qui entraînerait tout le bassin méditerranéen dans le chaos.

Aujourd’hui, c’est un autre vendredi de mobilisation en Algérie. C’est la preuve que le mouvement cette fois-ci n’est pas un simple soubresaut. Ce qui se passe s’inscrit dans la logique de l’évolution du pays. Les Algériens ont entamé en 1988 un projet de modernisation de leur pays qui a été avorté prématurément et douloureusement. Le moment est venu de le mener à terme. Il y a une maturité politique, l’Etat doit en profiter et faire en sorte que cela se fasse dans les meilleures conditions.

Razika Adnani, philosophe et islamologue. Il est membre du Conseil d’orientation de la Fondation de l’Islam de France, et est l’auteure de plusieurs essais dont La nécessaire réconciliation, une réflexion sur la violence (éd. UPblisher, 2014) et Islam : quel problème ? Les défis de la réforme (éd. VASCA-UPblisher, 2017).

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