En Chine, l'enfant unique... le restera

Le 15 novembre, à l'issue du 3e plénum du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois (PCC), Pékin a dévoilé les grands axes des réformes à venir. Parmi elles, la décision d'assouplir la politique de l'enfant unique.

Celle-ci fut adoptée en 1979 mais elle est désormais fortement controversée en Chine, même depuis que la fécondité du pays y est devenue très basse. Chaque Chinoise a en effet désormais, en moyenne, moins d'1,5 enfant, c'est-à-dire bien moins que le nombre théoriquement nécessaire (2,1) pour assurer le renouvellement de la population.

La mesure décidée au cours du 3e plénum du PCC consiste à autoriser les couples dont l'un des deux conjoints est lui-même un enfant unique à avoir deux enfants. Jusque-là, et uniquement dans les villes, seuls les futurs parents qui étaient eux-mêmes tous deux des enfants uniques pouvaient bénéficier de cette dérogation.

C'est en tout cas l'espoir de ralentir un vieillissement démographique qui s'annonce exceptionnellement rapide – tout autant que la baisse de la fécondité observée depuis les années 1970 –, qui aura motivé ce changement.

Au milieu du XXIe siècle, la population de la Chine aura en effet atteint, avec un âge médian de 49 ans, un stade de vieillissement parmi les plus avancés au monde, au même niveau que quelques autres pays comme l'Allemagne (51 ans), l'Italie ou l'Espagne (autour de 50 ans), et proche du niveau des pays les plus avancés dans ce processus, comme la Corée du Sud et le Japon (53 ans). Par comparaison, l'âge médian de la population française ne sera, à cette date, que de 43 ans.

LA PRISE EN CHARGE DE SES AÎNÉS CONSTITUE UN DÉFI

Les Nations unies (ONU) prévoient pour leur part qu'en 2050 un Chinois sur trois sera âgé de 60 ans ou plus. Ce seront alors 450 millions de personnes qui, en l'absence d'un système de retraites généralisé et performant, représenteront une charge absolument insoutenable pour les actifs de demain qui, eux, seront de moins en moins nombreux.

En effet, toujours selon l'ONU, la population des adultes en âge de travailler – c'est-à-dire entre 15 et 59 ans – aura diminué, dans l'empire du Milieu, de près d'un quart d'ici au milieu du siècle. Celle-ci ne représentera alors qu'un peu plus de la moitié de la population totale, contre plus des deux tiers aujourd'hui.

Or, si cette réduction drastique de la main-d'œuvre disponible est l'une des plus grandes menaces pour la pérennité de l'industrie chinoise, et a fortiori pour sa croissance économique, la prise en charge de ses aînés constitue un défi encore plus grand, tant pour son système de protection sociale balbutiant que pour la société dans son ensemble.

Il y a pourtant bien peu de chances que la volonté d'assouplir la politique de l'enfant unique puisse inverser la tendance. Elle ne constitue pas en effet une remise en question concrète de la politique de contrôle des naissances.

L'exemple de Shanghaï, où le vieillissement démographique est le plus avancé en Chine, est significatif. Bien que les couples dont les deux conjoints sont eux-mêmes des enfants uniques y soient, depuis la fin des années 2000, activement encouragés à mettre au monde le deuxième enfant que la loi leur autorise, la fécondité y reste parmi les plus faibles du monde (autour de 0,7 enfant par femme), bien en deçà du seuil d'un enfant par couple.

LES MODES DE VIE NE SE PRÊTENT PLUS AUX FAMILLES NOMBREUSES

Car à Shanghaï comme presque partout ailleurs dans le pays, l'envolée des prix de l'immobilier et des coûts liés à l'éducation d'un enfant, notamment pour sa scolarité et sa santé, dissuade la majorité des couples « autorisés » à profiter du droit à un deuxième enfant.

Dans la Chine d'aujourd'hui, alors que l'Etat s'est massivement désengagé du volet social de sa mission, les modes de vie ne se prêtent plus aux familles nombreuses. La précarité sur le marché du travail, en particulier pour les femmes, est trop grande, et la majorité des jeunes gens se soucient d'abord de leur réussite professionnelle et de leur épanouissement personnel, avant de penser à fonder une famille. Enfin, quand enfant il y a, les parents préfèrent désormais se limiter à un, rarement plus, pour être en mesure de lui offrir le meilleur.

Autant dire que les chances que la Chine remédie, au moins partiellement, à son vieillissement démographique par une relance spontanée de la natalité sont quasiment nulles, quand bien même serait décidée une suppression complète du contrôle des naissances.

Selon toute vraisemblance, seule une politique sociale délibérément nataliste soutenant les familles dans leur mission éducative (gratuité de l'école, des soins de santé et de la prise en charge de la petite enfance dans les crèches et les écoles maternelles, notamment) pourrait aujourd'hui amener les couples à repenser leurs stratégies familiales.

Rappelons d'ailleurs que si la politique de contrôle des naissances mise en œuvre dès le début des années 1970 et renforcée à la fin de la décennie par la politique de l'enfant unique a joué un rôle décisif dans la baisse de la fécondité jusqu'aux années 1990, son influence a depuis lors été marginale. Depuis près de vingt ans, c'est en effet le développement économique, plus que la politique, qui favorise la réduction du nombre d'enfants.

A l'aube de ce XXIe siècle, de nouvelles contraintes démographiques se dessinent, et tout le monde s'entend sur le fait que la nécessité de contrôler les naissances n'en fait plus partie.

Plus qu'un effet réel, c'est finalement surtout un effet d'annonce qui a présidé, le 15 novembre, à la décision d'assouplir la politique de l'enfant unique.

La Chine entre dans une ère nouvelle, au cours de laquelle l'enjeu majeur sera de consolider un développement économique encore particulièrement précaire. Il était donc temps de tourner une page, ce qui vient d'être fait, symboliquement plus que dans la réalité.

Isabelle Attané, de l'Institut national des études démographiques (INED), est démographe. Elle est l'auteur d'Au Pays des enfants pauvres. La Chine vers une catastrophe démographique (Fayard, 2011).

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