En Ethiopie, tout est difficile, mais tout reste possible

L’Ethiopie, terre des opportunités, nouveau « Far East »… A Addis-Abeba, les autorités connaissent le bréviaire de l’attractivité sur le bout des doigts. « Dans les années 1990, nous étions une toute petite économie. Nous sommes maintenant l’une des plus grosses d’Afrique subsaharienne, une destination sérieuse pour les investissements et un futur hub industriel. » Ministre des finances, Abraham Tekeste s’adresse à un public sagement assis dans les rangées d’un amphithéâtre : les représentants d’une quarantaine d’entreprises françaises, venus, les 8 et 9 mars, en visite exploratoire. Avides d’en savoir plus sur le modèle d’un pays qui connaît depuis une décennie une croissance échevelée, la plus rapide du continent…

L’Ethiopie séduit et, pourtant, l’Ethiopie inquiète. Miracle ou mirage ? La crise politique qui sévit depuis des mois et vient de regagner en intensité brouille les certitudes. L’état d’urgence a été décrété mi-février, pour la seconde fois en un an et demi. Une mesure exceptionnelle prise au lendemain de la démission surprise du premier ministre, Hailemariam Desalegn, auquel le pays cherche aujourd’hui péniblement un successeur. Le tout sur fond de contestation antigouvernementale, notamment des communautés oromo et amhara, majoritaires au sein de la population et très remontées contre un appareil d’Etat contrôlé par l’ethnie des Tigré.

Qu’on ne s’y trompe pas. Politique et économie sont ici étroitement liées. « Ils sont passés, en vingt ans, d’un système quasi féodal au XXIsiècle, analyse Bernard Coulais, directeur général à Addis-Abeba du groupe BGI-Castel (bière et vin), le plus important des investisseurs français en Ethiopie. Forcément, ça bouscule. Ils sont en crise de croissance. »

Clichés misérabilistes

La trajectoire est impressionnante, stupéfiante même. Pendant longtemps, les clichés misérabilistes ont collé à la peau de l’Ethiopie, terre des grandes famines des années 1980 et de pauvreté absolue. Mais ce pays de cent millions d’habitants – le deuxième plus peuplé d’Afrique après le Nigeria – a connu ces dernières années une croissance fulgurante, de l’ordre de 10 % par an pendant dix ans. La mortalité infantile a chuté. Les universités poussent comme des champignons. En une décennie, le produit intérieur brut par habitant a été multiplié par deux. Un genre de boom économique à la chinoise.

L’ex-empire du Milieu est d’ailleurs en Ethiopie comme chez lui. Immeubles, parcs industriels, routes, tramways, voies ferrées : un nouveau pays sort de terre et, partout, les Chinois sont à la manœuvre. Les panneaux en mandarin recouvrent Addis-Abeba, immense chantier à ciel ouvert à 2 500 mètres d’altitude. De la Chine, l’Ethiopie semble vouloir tout accueillir et tout emprunter : les investissements, les hommes, les équipements, les produits de consommation, les crédits et, surtout, la méthode.

Qu’on en juge. Le pays se définit comme un Etat développementaliste. Autoritaire et bureaucratique, le gouvernement a décrété une politique d’industrialisation dirigiste, à base de plans quinquennaux pris très au sérieux. Son ambition : profiter de la hausse du coût du travail en Asie afin de s’imposer à son tour comme base de production industrielle grâce à sa propre main-d’œuvre abondante et très bon marché. Une nouvelle Chine, en somme. Comme Pékin, il s’agit d’ouvrir l’économie tout en tenant le pays d’une main de fer : un verrouillage politique en contrepartie d’une croissance à deux chiffres.

Tensions

Mais ce pacte économique pourrait se lézarder. D’abord parce que la route est encore longue avant que l’Ethiopie puisse revendiquer le titre de tigre exportateur. Le secteur manufacturier ne représente aujourd’hui que 5 % du PIB. Bureaucratie, manque de devises, crise de liquidités, faible qualification de la force de travail : pour s’en sortir, le secteur privé doit avoir des reins solides. Enfin, les tensions montent au sein d’une large frange de la population, qui juge que tout ce développement se fait sans lui. Si ce n’est à son détriment.

Les gratte-ciel peuvent bien fleurir à Addis-Abeba, les millionnaires se multiplier comme des petits pains (3 100 en 2016 contre 1 300 dix ans plus tôt), l’Ethiopie demeure l’un des pays les plus pauvres du monde. Le salaire moyen n’excède pas soixante euros par mois, et un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le sous-emploi des jeunes est massif. L’accès à l’eau potable, comme à des logements décents, difficilement assuré.

La pression foncière monte dans un pays dont la population est encore rurale à 80 %. Le régime est accusé de confisquer des terres au profit de ses projets industriels et d’infrastructures. Les investisseurs étrangers sont parfois visés. « Nos camions sont régulièrement attaqués, les contestataires nous reprochent d’être en cheville avec le gouvernement auquel nous payons nos impôts », raconte-t-on dans cette ferme horticole européenne. Au point de songer à quitter l’Ethiopie ? « Non, car ici tout est difficile, mais tout reste possible. »

Marie de Vergès, journaliste.

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