En finir avec la peur des autres

La crise humanitaire que nous traversons est sans précédent ; son coût humain est effroyable et inacceptable. L’année 2015 atteindra sans doute le seuil du million de demandes d’asile enregistrées. La diversité des flux (Syriens, Irakiens et Erythréens représentent moins de 30 % des demandes au cours des cinq premiers mois de l’année) affecte les pays d’Europe de manière très disparate.

La crise s’inscrit aussi dans un temps long et indéterminé, tant qu’un processus de stabilisation n’est pas engagé en Libye et en Syrie. Enfin, au sortir d’une crise économique majeure avec des taux de chômage encore élevés, la sensibilité de l’opinion publique aux questions migratoires pèse sur les négociations en cours.

Une partie d’entre elle croit que cette crise est susceptible de fragiliser, voire de déstabiliser, les économies et les sociétés des pays d’accueil. Pourtant, l’Europe a les moyens et l’expérience nécessaires pour y faire face. Plusieurs pays ont été confrontés récemment à des déplacements massifs de population sans que cela mette en péril ni leur dynamisme économique ni la cohésion sociale.

C’est le cas, par exemple, de l’Allemagne, qui a accueilli plus de 3 millions de personnes d’origine ethnique allemande entre 1988 et 2005. En Espagne, le nombre d’immigrés a triplé entre 2000 et 2010. Au Royaume-Uni, celui des ressortissants européens a crû de plus d’un million après l’élargissement de l’Union européenne en 2004. Dans tous ces cas, il ne s’agissait, certes, pas de réfugiés, mais les économies des pays récipiendaires ont bénéficié de ces apports migratoires.

Les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que les migrations, si elles sont bien gérées, jouent un rôle positif sur l’économie des pays d’accueil. On constate ainsi que les immigrés paient généralement plus de taxes et de cotisations sociales qu’ils ne reçoivent de prestations individuelles.

Défis majeurs

En Europe, entre 2000 et 2010, 65 % de l’accroissement de la force de travail est imputable à l’immigration. Sur la même période, les nouveaux immigrés ont représenté 15 % des entrées dans les professions en forte expansion et 28 % dans celles en déclin, désaffectées par les travailleurs locaux. Le choix des pays de destination, y compris pour les réfugiés qui arrivent aujourd’hui, n’est pas fondé sur la générosité des systèmes de prestations sociales.

Dans un contexte de vieillissement démographique, l’apport en main-d’œuvre et en compétences lié à l’afflux de migrants peut être un atout si l’intégration sur le marché du travail est rapide. Pour cela, il importe de ne pas négliger les politiques d’intégration, voire de les renforcer.

L’accueil et l’intégration des réfugiés posent des défis majeurs à ne pas sous-estimer. C’est une tâche difficile et coûteuse à court terme. Les traumatismes subis, l’absence de préparation, la faiblesse des compétences linguistiques et le manque de documents certifiant le niveau de compétences compliquent la tâche. Un investissement important est, donc, nécessaire en première instance pour leur permettre de s’installer et de développer leurs compétences. A moyen et long terme, cependant, les réfugiés qui décideront de rester contribueront positivement au marché du travail et à l’économie des pays dans lesquels ils vivent, au même titre que les autres immigrés.

La réponse à la crise actuelle ne peut pas, et ne doit pas, se justifier par des arguments économiques. Pour autant, à moyen terme, une chose est sûre : si l’Allemagne accueille, aujourd’hui, le plus grand nombre de réfugiés, son économie en sera aussi la première bénéficiaire.

Jean-Christophe Dumont est chef de la division des migrations internationales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; Stefano Scarpetta est directeur de l’emploi, du travail et des affaires sociales à l’OCDE.

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