En frappant la Syrie, Donald Trump est devenu président des Etats-Unis

En ordonnant le bombardement d’une base aérienne du régime syrien, Donald Trump est devenu, dans la nuit du 6 au 7 avril, le président des Etats-Unis, agissant en tant que chef des armées américaines. La façon dont a été décidée cette frappe et la manière dont seront gérées ses suites imprimeront leurs marques sur la durée de son mandat.

Certains commentaires pointent la contradiction existant entre cette intervention et les propos de campagne de Trump condamnant les aventures militaires au Moyen Orient en dehors de la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI). Ces commentaires ne sont pas faux, ils sont simplement hors sujet.

Le président avait aussi fustigé tous azimuts le comportement de son prédécesseur dans la région. Or cela pouvait aussi viser la volte-face de Barack Obama refusant d’intervenir militairement après le franchissement de la ligne rouge que constituait l’emploi de gaz de combat par les forces de Bachar Al-Assad en août 2013. Quand des circonstances voisines se sont présentées avec le bombardement chimique du 4 avril, le président Trump a saisi l’occasion de montrer qu’il ne ferait pas comme le président Obama. C’est ce qu’a résumé le titre d’un journal anglophone d’Arabie saoudite au lendemain du raid de représailles américain : « Yes, HE Can », détournant au profit de Trump le slogan électoral d’Obama (« Yes we Can »). Parmi ses divers récits de campagne, Trump avait le choix, et il a retenu celui qui lui permettait de régler un compte de politique intérieure.

La Chine fragilisée

Par ailleurs, les modalités unilatérales de la frappe ont été conformes aux préférences affichées par le candidat Trump. Le facteur nord-coréen a pesé sur le choix de la méthode et du moment. Le 2 avril, soit quatre jours avant l’arrivée aux Etats-Unis du président chinois Xi Jinping – et deux jours avant l’attaque chimique en Syrie –, Donald Trump avait déclaré que les Etats-Unis agiraient unilatéralement pour éliminer la menace nucléaire nord-coréenne si la Chine ne faisait pas pression sur le régime de Pyongyang. Le fait de ne pas frapper la Syrie aurait pu accréditer l’idée que Trump bluffait sur le dossier nord-coréen. Mais en procédant au tir entre le dîner officiel du 6 et le petit-déjeuner du lendemain à Mar-a-Lago, la résidence hôtelière du groupe Trump en Floride, le président américain a choisi de faire perdre la face à un hôte dont il aurait pu attendre le départ.

La Chine n’en restera pas là ; à terme, ce sera peut-être la conséquence la plus inquiétante de cette crise. En attendant, force est de noter qu’elle a, pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie, refusé d’accompagner la Russie dans son veto au Conseil de sécurité le 12 avril. Et que la presse chinoise la plus proche du gouvernement met en garde la Corée du Nord de manière inédite.

La Russie isolée

S’agissant de la Syrie, avec cette frappe limitée, l’Amérique revient au centre d’un jeu dans lequel elle avait cédé l’initiative stratégique à la diplomatie puis aux armées russes après le demi-tour d’Obama en août 2013. Reste à savoir ce que Washington fera de ce retour. La frappe américaine a aussi permis à la Turquie de rappeler à Moscou et à Téhéran qu’elle n’était pas prisonnière de son rapprochement avec la Russie. Le bombardement aura sur le moment rassuré les partenaires des Etats-Unis dans le Golfe quant à la pérennité de leur engagement, alors que l’Arabie saoudite subit une suite de revers stratégiques face à l’influence iranienne en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen.

Par rapport à la Russie, la dimension militaire pèsera autant que les aspects politiques et diplomatiques. La « bulle » de défense antiaérienne russe censée protéger l’espace aérien syrien, notamment grâce au système S-400, s’est avérée inopérante par rapport à une frappe basée sur des tirs de missiles de croisière. Les responsables russes auront aussi remarqué la rapidité inhabituelle du processus de prise de décision américain et sa vitesse de mise en œuvre : l’Amérique de Trump pourrait devenir aussi stratégiquement « agile » que l’est devenue la Russie de Poutine depuis la guerre de Géorgie. Cela pèsera sur les prises de risque que pourrait envisager le président russe aux marges de l’OTAN, notamment dans les Balkans après l’entrée du Monténégro dans l’Alliance Atlantique.

Cela ne signifie pas que Washington et Moscou sont condamnés à l’affrontement, malgré la phase actuelle d’expression des désaccords. L’un des effets paradoxaux de la crise actuelle est de donner au président américain les marges de manœuvre politiques nécessaires pour pouvoir engager le dialogue avec son homologue russe sans être automatiquement soupçonné de complaisances inavouables avec le système poutinien. De son côté, la Russie aura noté sans plaisir son isolement total au Conseil de sécurité cette semaine.

Une résolution commune

Malgré les inquiétudes qu’inspire la personnalité de l’hôte de la Maison Blanche et nonobstant le caractère unilatéral de la frappe américaine, c’est ensemble que les gouvernements américain, britannique et français ont présenté une résolution commune au Conseil de sécurité, emportant l’adhésion des deux-tiers des Etats membres. Les Européens, et spécialement les Français, retiendront aussi qu’il est dorénavant possible de conduire la guerre contre l’organisation EI sans ménager Bachar Al-Assad.

Le prochain président français pourrait avoir l’occasion de rouvrir un jeu stratégique et diplomatique dans lequel le Conseil de sécurité et l’Union européenne auront à nouveau leur place. Cela vaudrait mieux que d’être relégué au rôle ingrat de ceux qui sont invités à payer pour reconstruire les villes détruites par les forces syriennes, russes et iraniennes.

François Heisbourg, Conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique. Il est l’auteur de Comment perdre la guerre contre le terrorisme (Stock, 2016).

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