En Italie, la tentation des cinq étoiles

Des militants célèbrent la victoire de Virginia Raggi, dimanche, à Rome. Photo Antonio Masiello. NurPhoto. AFP
Des militants célèbrent la victoire de Virginia Raggi, dimanche, à Rome. Photo Antonio Masiello. NurPhoto. AFP

Les succès du Mouvement Cinq Etoiles («Movimento 5 Stelle», M5S) dans la capitale de l’Italie et celle du Piémont obéissent à des raisons locales, et revêtent une dimension nationale. Les deux nouvelles élues ont des points communs. Elles sont femmes alors que la politique italienne reste dominée par les hommes, jeunes dans un pays gérontocratique, novices ou presque en politique (Chiara Appendino était conseillère municipale depuis cinq ans) donc en mesure d’incarner la nouveauté, l’authenticité et le changement recherchés par des Italiens critiques de leur classe politique. A Rome, Virginia Raggi, qui partait favorite, a exploité une situation désastreuse : échec du maire précédent, Ignazio Marino, membre du Parti démocrate (PD), scandales de corruption qui ont aussi éclaboussé ce parti, dégradation continue de la ville, administration inefficace, endettement record. Elle avançait un programme vague avec quelques formules fétiches sur la transparence budgétaire et l’honnêteté, des mesures en faveur des transports, du ramassage des déchets, de l’école, ou des propos ambigus sur l’immigration. A Turin, ville fort différente de Rome que l’on considère généralement bien gérée, Chiara Appendino a opposé «les Turinois dans les files d’attente devant les musées» à ceux qui font la queue «parce qu’ils sont pauvres». Fustigeant l’establishment local, elle s’est adressée aux électeurs de la périphérie de la ville, à la jeunesse en situation de précarité, aux démunis, et s’est prononcée pour une politique d’accueil des immigrés.

Il y a une leçon plus générale à tirer des résultats dans ces deux villes. Le M5S, au second tour, peut agréger des suffrages venus de la droite, de la Ligue du Nord et de la gauche. Autant d’électeurs et de partis désireux de sanctionner le PD pour des raisons variées (la crise sociale pas encore résolue malgré la création d’emplois et la profonde défiance envers les politiques) et Matteo Renzi. Lui, qui se présentait comme un outsider, se voit associé au reste de la classe politique. Sa première défaite atteste une limite de son positionnement consistant à pratiquer ce que l’on pourrait appeler du populismo-centrisme afin, entre autres, d’assécher le vivier du M5S. Peine perdue donc, d’autant que le M5S reste à un haut niveau dans les intentions de vote pour d’éventuelles élections politiques. Le référendum sur la réforme constitutionnelle, prévu en octobre, risque de se transformer en un vote pour ou contre sa personne et sa politique.

Le M5S apporte-t-il donc une nouvelle preuve de la montée en puissance des populistes ? Les populismes reposent sur un système de croyances dichotomiques (pour ou contre, oui ou non) porté le plus souvent par un leader charismatique. Ils ont en commun l’exaltation du peuple comme une entité homogène, porteuse par définition de vérité, le rejet de toutes les élites supposées former une classe dominante unie, en dépit de ses apparences, et complotant en permanence contre le peuple, la dénonciation des partis de gouvernement et le rejet de l’Union européenne. Ils prennent néanmoins des formes très variées. Il existe des populismes de gauche et d’extrême gauche (le parti de gauche de Mélenchon, Die Linke en Allemagne), de droite et d’extrême droite (la liste est innombrable), un populisme des entrepreneurs tel Silvio Berlusconi, enfin des populismes qui refusent de se situer sur le clivage opposant la droite et la gauche, parce qu’ils privilégient les intérêts régionaux, comme en Flandre avec le Vlaams Belang, ou parce que cela correspond à leur stratégie. C’est ce qu’a tenté le Front national (FN) dans le passé et qu’il réessaye aujourd’hui. Ces distinctions sont labiles et susceptibles d’évoluer, comme en atteste Podemos, fondé par des militants venus de l’extrême gauche qui ont d’abord tenu à opposer le peuple à «la caste», refusant de se situer à gauche mais qui, en vue du scrutin du 26 juin, ont scellé une alliance avec Izquierda Unida. D’un autre côté, ces mouvements diffèrent sur l’Union européenne, l’euro, l’immigration, l’islam, le terrorisme jihadiste, leurs conceptions du peuple, les sujets de mœurs et d’identité, ou encore du fait de la sociologie de leurs électorats respectifs.

Dans cette galaxie, le M5S se singularise. Contestant «le système», s’opposant à tous les partis, il ratisse large sur tout le territoire et attire les jeunes. Son programme associe des mesures de gauche classique (revenu de citoyenneté de 780 euros pour les plus pauvres), d’écologie (pour la gestion publique de l’eau, de l’environnement, la décroissance), de moralité (l’honnêteté constitue l’une de ses valeurs cardiales) et des positions fermes sur l’immigration (ce qui divise en interne) ou contre l’Union européenne et l’euro. Il veut promouvoir la transparence démocratique et prône la démocratie participative, ce qui est souvent démenti par le pouvoir exorbitant de son directoire. Après avoir obtenu 109 députés et 54 sénateurs en 2013 qui ont surtout fait de l’obstruction (37 d’entre eux sont sortis du groupe ou en ont été bannis), conquis deux villes moyennes, Parme (le maire a été suspendu du parti) et Livourne, les voilà à la tête de deux villes de la péninsule. L’heure de vérité a donc sonné pour le mouvement. Que sera-t-il capable de faire ? Concrétisera-t-il son irréductible différence qu’il ne cesse de revendiquer ?

Les populismes ne sont pas un problème en soi. Ils sont l’expression de problèmes. Ceux de la politique, de la démocratie, de l’Union européenne, de la crise sociale. Reste à voir comment ces partis qui exploitent ces questions et contribuent à les formuler les résoudront une fois en situation de responsabilité.

Marc Lazar, directeur du Centre d’histoire de Sciences- Po.

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