En Italie, le Mouvement 5 étoiles est bien l’expression de profonds malaises

A l’automne 2016, le spectre des populismes planait sur l’Europe. Il y avait eu le Brexit puis la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis. Les sondages enregistraient une poussée des mouvements populistes. Or, depuis quelque temps, ceux-ci ont connu des revers en Autriche, aux Pays-Bas et en France. Dernier exemple en date, celui de l’Italie où le Mouvement 5 étoiles vient d’enregistrer une défaite cinglante lors d’un scrutin administratif partiel où il a été éliminé presque partout dès le premier tour et n’a conquis que la ville toscane de Carrare.

Le vent aurait-il donc tourné une bonne fois pour toutes ? Il faut rester prudent.
L’exemple italien mérite précisément qu’on s’y arrête. D’abord, ces élections ne concernaient qu’un nombre limité de communes, donc d’électeurs, et ont été caractérisées par un taux d’abstention extrêmement élevé. Ensuite, elles étaient régies par un mode de scrutin majoritaire à deux tours, ce qui ne sera pas le cas lors des élections politiques qui devraient se dérouler au début de l’année prochaine avec une proportionnelle quasi intégrale. Enfin, tous les sondages démontrent qu’au niveau national, le Mouvement 5 étoiles continue de recueillir de très fortes intentions de vote. Comment expliquer alors ce paradoxe ?

Diverses thématiques

Pour répondre à cette question, il faut saisir l’originalité de ce Mouvement né en 2009 à l’initiative du comique Beppe Grillo et de Gianroberto Casaleggio, disparu en 2016, à la fois idéologue et spécialiste du Web. Leur formation qui obtint un grand succès aux élections politiques de 2013 est originale. Elle se veut un non-parti qui rejette toute forme d’organisation traditionnelle et revendique une démocratie directe par le numérique que contredit le pouvoir autoritaire de Beppe Grillo qui dénonce et exclut le moindre opposant interne.

Le Mouvement 5 étoiles associe diverses thématiques : la dénonciation des autres partis, un rejet viscéral des élites, une exigence d’honnêteté et de transparence, la critique de l’Europe et de l’euro, l’écologie, la défense des services publics – de l’eau par exemple –, l’instauration d’un revenu de citoyenneté de 780 euros pour les plus pauvres, l’hostilité envers les migrants et les immigrés, la condamnation de la réforme du droit du sol, l’acceptation de la légitime défense.

Le Mouvement est donc « attrape-tout ». Il regroupe des électeurs qui refusent le clivage gauche-droite, se situent plutôt au centre et se répartissent dans toute la péninsule, même si ces derniers temps, le M5S a surtout percé dans le Sud. Ainsi que l’a montré une récente étude du sociologue italien Ilvo Diamanti, il rassemble des ouvriers, des employés, des chefs d’entreprise, des étudiants, des chômeurs, et surtout des jeunes dotés d’un haut niveau d’instruction démontrant une forte appétence pour la participation politique. Surtout par l’intermédiaire de la Toile.

Et telle est la limite de ce mouvement. Il est actif virtuellement mais aussi pratiquement avec l’organisation de meetings qui prennent des allures de happening. Mais au niveau national. Bien moins à l’échelle locale. Car il ne dispose pas de structures territoriales, peu de personnel compétent et rencontre les plus grandes difficultés à dépasser la posture de la protestation pour devenir force de propositions. Ce qui explique ses mauvaises performances aux élections municipales depuis 2013.

A l’exception des succès spectaculaires de l’an dernier, lorsqu’il conquit Turin et Rome. Or, justement, dans la capitale du Piémont, Chiara Appendino n’a pas fait preuve d’une grande capacité d’innovation. Et dans la Ville éternelle, Virginia Raggi a, pour le moment du moins, échoué. Et pourtant, cela n’a pas eu de conséquences sur le soutien que lui apportent toujours près de 30 % des Italiens décidés à voter pour les candidats du M5S aux prochaines élections.

Des électeurs ambivalents

Car le Mouvement est bien l’expression de profonds malaises. Malaise politique du fait de la profonde défiance qui existe en Italie envers les institutions et la classe politique. A ce propos, les électeurs du M5S s’avèrent ambivalents. D’un côté, 55 % d’entre eux, toujours selon l’enquête d’Ilvo Diamanti, pensent que la démocratie peut fonctionner sans les partis. En bons populistes, ils estiment représenter le – bon – peuple contre « la caste » honnie ne laissant nulle place aux conflits entre différents représentants du peuple.

Mais, de l’autre côté, les supporteurs du Mouvement, indignés par la corruption, aspirent à une démocratie plus participative. Le Mouvement 5 étoiles traduit aussi l’exaspération sociale dans un pays qui a souffert et souffre encore de la crise économique et financière, de la rigueur, du chômage, de la progression de la pauvreté et du creusement des inégalités. En particulier, une partie de la jeunesse diplômée se retrouve en situation de précarité, n’arrive pas à trouver un emploi et doit souvent partir à l’étranger.

Enfin, l’Italie, pays des plus europhiles, est devenue l’un des plus eurosceptiques. L’Union européenne est associée à l’austérité, à la détérioration du pouvoir d’achat et à l’absence de démocratie. Peu importe pour cette partie des Italiens que la dette publique batte des records et que le système bancaire soit d’une extrême fragilité.

Ces facteurs favorisent le Mouvement 5 étoiles. D’autant que le Parti Démocrate (centre gauche) de Matteo Renzi, en perte de vitesse, et les partis de centre-droit, en progression ces derniers temps, n’apportent pas vraiment des réponses convaincantes aux inquiétudes, aux peurs et aux aspirations des Italiens. C’est pourquoi le M5S est loin d’avoir disparu.

Par Marc Lazar, Directeur du Centre d'histoire de Sciences Po et président de la School of government de la Luiss, à Rome.

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