En Italie, le repli sur soi s’est emparé d’un peuple historiquement ouvert au monde

Matteo Salvini a bousculé le paysage politique italien. En 2013, personne n’aurait deviné que la Ligue, le parti dont il est secrétaire depuis plus de cinq ans, gouvernerait le pays en 2018 et encore moins que son leader, un an plus tard, aurait eu la possibilité de provoquer la dissolution du gouvernement. En effet, les revendications fédéralistes et sécessionnistes de la Ligue du Nord en avaient fait un parti minoritaire.

En 2013, elle avait gagné 18 sièges au Parlement avec un score électoral de 4,09 %, et gouverné en coalition avec la droite de Silvio Berlusconi. Aujourd’hui, le groupe parlementaire de la « Lega -Salvini Premier » siège au Parlement avec 125 députés, recueille environ 36 % des intentions de vote et appelle à des élections anticipées afin d’obtenir les « pleins pouvoirs », expression de Mussolini reprise récemment par Matteo Salvini, ce qui lui permettrait de constituer un gouvernement tel qu’il l’entend et de dicter son agenda.

Les observateurs étrangers s’interrogent : comment cette victoire a-t-elle été rendue possible ? Comment la promesse initiale formulée par la Ligue, celle de la séparation entre le nord et le sud du pays, a-t-elle pu être absorbée par un nationalisme identitaire et convaincre les Italiens ?

Une confiance inaltérée

Obtenir le pouvoir n’est pas chose facile, le conserver est plus ardu : néanmoins, après un an de gouvernement, malgré des scandales financiers et des enquêtes en cours visant le parti, la confiance des Italiens envers Matteo Salvini reste inaltérée. Sa politique destinée à créer un consensus autour de lui semble avoir été efficace. En quoi consiste-t-elle ? En un mélange efficient d’allusions explicites au fascisme, à l’ordre et à la sécurité, en l’invocation des symboles du catholicisme, en l’utilisation de la peur de « l’invasion « des immigrés provenant d’Afrique. Il s’agit d’outils connus, utilisés maintes fois par le passé et par d’autres formations politiques. Mais Matteo Salvini est un magicien du transformisme politique : ces outils lui ont servi à réaliser en quelques années la transition de « d’abord le Nord » à « d’abord les Italiens » et de prendre les rênes du gouvernement.

Ce qui frappe le plus dans son discours politique est un nouveau rapport à la religion, un rapport renversé : à l’époque d’Umberto Bossi, son fondateur, la Ligue affichait ses inclinations néo-païennes et folkloriques, avec des références aux Celtes et au « dieu Pô » [le fleuve], l’usage de casques vikings, sur une base d’indifférence envers le christianisme.

Aujourd’hui, le parti a compris l’utilité de la religion comme idéologie pour construire sa vision politique et discréditer les accusations d’égoïsme et de xénophobie. Les attaques de Salvini contre les prêtres invitant à l’accueil des migrants auraient pu lui porter préjudice auprès de l’opinion publique italienne. En effet, les Italiens continuent à se montrer sensibles aux discours liés à l’identité chrétienne, malgré un net recul de la pratique religieuse : les chiffres de l’ISTAT (Istituto nazionale di statistica / Institut national de statistique) indiquent que, en 2018, 25,6 % d’Italiens n’avaient pas fréquenté une église depuis douze mois, contre 22,7 % en 2016. D’où le recours à un catholicisme propre à la Ligue, avec des accents fortement traditionalistes, en opposition au pape et à l’Eglise de Rome.

Avec un crucifix

Concrètement, en 2018, la Ligue a déposé une proposition de loi pour rendre obligatoire la présence du crucifix dans les écoles, les bureaux publics, les prisons. Le 27 mai, Matteo Salvini s’est présenté en conférence de presse avec un crucifix, qu’il avait déjà brandi, le 18, en évoquant la Vierge lors du meeting place du Dôme à Milan avec ses alliés souverainistes européens. Depuis quelques mois, le ministre de l’intérieur n’hésite pas à exhiber et à embrasser la croix publiquement en conclusion de ses meetings, ce qu’il a encore fait récemment lors de l’annonce au Sénat de la démission du président du conseil, Giuseppe Conte, ce dernier l’ayant accusé de faire courir à l’Italie de graves risques.

L’usage de symboles religieux s’accompagne de clins d’œil au fascisme, toujours plus fréquents, comme au mois de mai à Forli, où il s’est exprimé du même balcon que Mussolini, ou comme en 2018 lorsqu’il a cité la phrase du Duce « beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur » le jour de l’anniversaire du dictateur.

Cette stratégie a été élaborée en tenant compte du contexte social, culturel et économique italien actuel, absolument inédit. Depuis au moins 2008, le pays est affligé par une crise du marché du travail et de la croissance, dont a résulté une forme de désolation et de désespoir structurels ayant atteint les plus jeunes. En effet, un jeune sur trois entre 15 et 24 ans est au chômage. Ces données induisent une incapacité à imaginer le futur : cet échec politique se caractérise notamment par un manque d’investissement dans l’éducation, la recherche, l’innovation et la culture.

Une promesse d’ordre

Dans ce contexte, le repli sur soi des citoyens, le besoin d’une promesse d’ordre et de protection contre la précarité de la vie et du travail se sont emparés d’un peuple historiquement créateur, novateur et ouvert au monde. La Ligue a convaincu les Italiens, par des moyens très agressifs et directs, qu’elle est la force politique capable de répondre à leur besoin de clarté et d’organisation. Des Italiens déjà atterrés par les nombreuses difficultés à gouverner des représentants du Parti démocrate, et déçus par les promesses d’honnêteté et de droiture du Mouvement 5 étoiles, mises à l’épreuve par l’exercice du pouvoir.

Anna Bonalume est docteure en philosophie (école doctorale de l’Ecole normale supérieure de Paris).

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