En Italie, ne cédons pas à l'argumentaire xénophobe

« Il faut dépasser le règlement européen de Dublin » : cette phrase figure parmi les trois pages consacrées à l’immigration dans le contrat de gouvernement scellé entre La Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles (M5S). Une courte phrase dans le chapitre : « Immigration : rapatriement et arrêt du business » caractérisé par une orientation sécuritaire et des propositions maintes fois entendues, maintes fois répétées, par les acteurs politiques et dénoncées par les chercheurs et les ONG.

Peu appliqué pendant près de quinze ans, le règlement de Dublin a fait son apparition sur la scène médiatique lors de la « crise » de 2015. Entré en vigueur en 1997 et réformé en 2003 (Dublin II) puis en 2013 (Dublin III), il est à nouveau en négociation dans les arènes européennes. En dépit de ces réformes, ces textes ont conservé le même principe : un demandeur d’asile doit déposer sa demande d’asile dans le premier pays européen où il a posé le pied, ou plutôt où ses empreintes ont été relevées.

Depuis sa création, le règlement de Dublin a été critiqué par les Etats membres du Sud, des ONG et des chercheurs. Aujourd’hui, c’est un programme proposé par des forces eurosceptiques et hostiles à l’immigration qui le dénonce. Ce paradoxe n’est qu’apparent. Il faut bien abolir Dublin, mais pas pour les raisons invoquées par la Ligue et le M5S : jouant sur les peurs afin d’asseoir leur popularité et stimulant les réflexes d’exclusion, ils veulent « dépasser » Dublin pour accueillir moins d’étrangers.

Un obstacle à une politique solidaire

S’il faut abolir le règlement de Dublin, c’est parce qu’il constitue un des obstacles à la mise en place d’une politique d’asile harmonisée et solidaire. Abolissons-le à cause de son absurdité, de son coût et de ses effets désastreux en termes diplomatiques et humains.

La première conséquence de ce texte est de faire reposer la prise en charge de l’asile sur les pays où les exilés arrivent en premier lieu (Italie, Grèce et Hongrie). En contradiction avec le principe de solidarité censé régir l’Union européenne, ce système permet à des pays non frontaliers comme la France de renvoyer des demandeurs d’asile vers des pays déjà en première ligne.

Aussi ce règlement a-t-il entraîné des stratégies de contournement de la part des Etats frontaliers, en premier lieu de l’Italie qui relevait rarement les empreintes des demandeurs d’asile afin de leur permettre de déposer une demande d’asile dans un autre Etat membre. Mais avec l’augmentation des flux en 2015, la situation a changé. L’Italie subit des pressions de la part des Etats membres non frontaliers et de Bruxelles pour enregistrer les empreintes des migrants arrivés sur ses côtes. Sur le terrain, cette pression s’est traduite par de nombreux dispositifs très coûteux.

Outre son coût élevé, le règlement de Dublin est injuste et inhumain. D’une part, en tant que pays d’émigration, les pays du sud de l’Europe sont dotés de systèmes d’asile faibles et peu protecteurs. Les demandeurs d’asile sont renvoyés dans des pays où ils sont exposés à des traitements dégradants.

D’autre part, en les traitant comme de la marchandise que l’on transfère d’un pays à un autre, le règlement de Dublin nie la subjectivité politique des exilés, leurs projets de vie professionnels et universitaires, leurs liens amicaux et familiaux, les réseaux communautaires, les facteurs linguistiques.

Sentiment d’abandon côté italien

Enfin, le règlement de Dublin est aussi générateur de fortes tensions entre les Etats membres. Paris a fait de l’application stricte de ce règlement un de ses chevaux de bataille et se saisit de l’opportunité offerte par une norme européenne pour externaliser l’asile, donc pour déroger au principe de solidarité. Côté italien, il renforce le sentiment d’abandon face au défi migratoire et alimente les discours populistes.

Les conflits que ce règlement provoque entre des Etats ayant des frontières extérieures terrestres et maritimes et des Etats non frontaliers risquent de favoriser le rapprochement entre le nouveau gouvernement italien et les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) autour de cette revendication. L’argumentaire xénophobe et eurosceptique justifiant l’abolition de ce système ne doit pas l’emporter sur le raisonnement et les arguments portés par les forces solidaires.

Il faut abolir Dublin mais ne pas en rester là. Le plan de relocalisation des demandeurs d’asile proposé par la Commission européenne en 2015 a été un échec. Pour qu’une répartition des exilés, tenant compte de leurs préférences, puisse se faire entre les Etats membres, mettons en place une politique d’asile commune respectueuse des droits de l’homme. Il est indispensable d’investir sur l’accueil et de déconstruire la logique sécuritaire inefficace et inhumaine.

Il faut instaurer des corridors humanitaires pour que les exilés n’aient pas à risquer leur vie pour rejoindre l’Europe, ouvrir les voies d’accès légales pour permettre aux migrants de venir travailler en Europe sans avoir à emprunter le canal de l’asile, améliorer et harmoniser les conditions d’accueil et faire converger les taux de reconnaissance du statut de réfugié entre les Etats membres.

Par Marie Bassi, chercheuse à l'Ecole française de Rome et chercheuse associée à Sciences Po Paris.

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