Donald Trump n’a pas mis fin à la guerre entre l’Ukraine et la Russie en vingt-quatre heures, comme il l’avait promis pendant sa campagne électorale. Mais il ne lui aura fallu que vingt-quatre jours de mandat pour annoncer qu’il s’était entendu avec le président Poutine afin d’« entamer immédiatement des négociations ».
Pris de court par ce revirement dans la politique étrangère des Etats-Unis, les dirigeants de la France, de l’Allemagne, de la Pologne, du Royaume-Uni, de l’Espagne, de l’Italie, des Pays-Bas et du Danemark, ainsi que les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne et le secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), se sont réunis à Paris, le lundi 17 février, pour un sommet d’urgence. Au menu : la sécurité de l’Ukraine et du continent européen.
« Qu’est-ce que c’est que ce groupe et pourquoi encore à Paris ? » Ainsi persiflaient la presse internationale et les pays exclus. Le sommet du 17 février faisait suite à la déclaration « Weimar plus », publiée le 12 février, laquelle était claire : « L’Ukraine et l’Europe doivent participer à toute négociation. » Un second sommet – en comité plus large – s’est tenu mercredi 19 février.
Le sommet de Paris, dont la composition variable était énigmatique pour certains, illustre le défi auquel l’Europe est confrontée pour faire entendre sa voix sur la scène internationale à un moment où son avenir est en jeu.
Ce défi dépasse la simple nécessité de s’adapter, dans un monde où la démocratie libérale est en recul ; il touche aux fondements constitutionnels de l’Europe. Des dirigeants comme Trump et Poutine rappellent l’exercice du pouvoir personnel du souverain de Thomas Hobbes. Cette acception du pouvoir se heurte à la nature plurielle de l’Europe, et de l’Union européenne (UE) en particulier. Si l’Europe veut s’assurer sa place à la table des négociations et peser dans cette ère de pouvoir autoritaire, trois questions doivent être abordées en urgence.
« Team Europe »
Qui parle au nom de l’Europe ? Pour gérer les crises, les gouvernements nationaux disposent des comités formels ou des cercles restreints. Sur ce modèle, l’Europe doit pouvoir naviguer entre le besoin d’inclure les différentes voix et celui d’agir vite autour d’une unité de réponse d’urgence. Pour que l’exercice soit efficace, les absents ne sauraient se sentir exclus.
Cet aspect n’aura pas été négligé. La présence du premier ministre polonais, Donald Tusk, reflétait autant la proximité de la Pologne avec le conflit que la volonté d’inclure l’Europe orientale. Les premiers ministres danois et néerlandais, quant à eux, ont été conviés en raison de leur contribution à l’effort de guerre ukrainien. Toutefois, si la Danoise, Mette Frederiksen, a souligné que sa présence garantissait la représentation des intérêts de tous les pays nordiques, son homologue néerlandais, Dick Schoof, n’a fait aucune référence similaire aux pays du Benelux, au grand dam de la Belgique et du Luxembourg. Ce n’est qu’en composant judicieusement la liste des invités – comme lors du second sommet du 19 février – que ces rendez-vous pourront prétendre représenter l’Europe.
Quelle est la nature constitutionnelle de ces sommets ? Ils ne reposent ni sur les traités européens ni sur un instrument juridique, et ne produisent pas de décisions contraignantes (ainsi le président du Conseil européen, Antonio Costa, a-t-il parlé avec prudence de « consultations entre Européens ») ; pour autant, ces consultations affermissent l’Europe. Les Vingt-Sept devront prendre des décisions communes, lors du sommet formel convoqué par M. Costa, le 6 mars.
Improvisées et ad hoc, ces rencontres permettent au continent de réagir à l’impérieux. Lorsque la zone euro était au bord de l’effondrement, en octobre 2011, la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, Nicolas Sarkozy, se sont réunis à Francfort (Allemagne) avec les chefs de la Commission, du Conseil, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européens. Ce « groupe de Francfort », créé dans l’urgence, a jeté les bases d’importantes interventions financières. De la même façon, à l’été 2023, les premiers ministres néerlandais et italien, Mark Rutte (aujourd’hui secrétaire général de l’OTAN) et Giorgia Meloni, ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen –, qui se sont baptisés « Team Europe » –, ont négocié un accord avec le président tunisien, Kaïs Saïed, pour freiner le flux de migrants traversant la Méditerranée.
Grand défilé à la Maison Blanche
Que signifie représenter l’Europe ? La composition du sommet de Paris du 17 février reflète un état de fait : en matière de sécurité et de défense, l’UE dispose de moyens d’action limités (même si elle renforçait ses capacités dans les années à venir), et les Etats membres assument l’essentiel de la charge.
Fondamentalement, ce sommet montre que l’UE n’est pas synonyme d’Europe. La guerre d’agression menée par la Russie ne relève pas des intérêts de l’Ukraine ou de l’UE, mais de ceux du continent européen tout entier. Si un accord de paix était conclu, il modifierait radicalement l’architecture sécuritaire du continent, redéfinissant et accentuant la division géopolitique entre « nous » et « eux », entre « ami » et « ennemi », entre « l’Europe » et « la Russie ». C’est pourquoi la présence du premier ministre britannique, Keir Starmer, et du secrétaire général de l’OTAN était essentielle, une ouverture accentuée au second sommet avec la participation de deux pays extérieurs à l’UE, la Norvège et le Canada. C’est pourquoi les Européens – Emmanuel Macron, lundi, et Keir Starmer, jeudi – devaient défiler à la Maison Blanche, dans l’espoir de raviver une amitié en péril. L’avenir nous dira si le geste du président français sera suivi d’effet, assurant aux Européens un siège à la table des grands.
Et pourquoi ces consultations se tiennent-elles toujours à Paris ? L’initiative ne pouvait venir que de la France, l’Etat européen le plus fort sur les plans militaire et diplomatique, détenant la double casquette UE et Alliance atlantique. L’absence de l’Allemagne n’est pas conjoncturelle ; elle répond à la logique de son histoire. La République fédérale allemande est née en 1949, dans le moment même de l’union transatlantique qui aujourd’hui est en danger. Viscéralement, elle ne peut dépasser ce cadre originel, même si, avec le nouveau dirigeant, Friedrich Merz, une dynamique nouvelle se dessine. La France, elle, retrouve, lors de tels moments historiques, l’assise de son histoire séculaire et son rôle d’impulsion européenne.
Ces configurations improvisées ne sauraient être perçues comme de simples mises en scène. Instruments essentiels de communication politique, elles envoient le signal – à l’intérieur comme à l’extérieur – que l’Europe reste une pluralité démocratique. Elles servent à mobiliser la capacité d’action de l’Europe face à des menaces existentielles. Et tout laisse à penser que d’autres se produiront dans les semaines et mois à venir.
Luuk van Middelaar est historien et philosophe, fondateur et directeur du Brussels Institute for Geopolitics.