En ne tenant pas parole sur la Macédoine, la France et l’UE perdent leur crédibilité

Au Conseil européen du 18 octobre, la France vient, une fois de plus, de s’opposer à l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie. Une décision qui, en reniant la promesse de l’Union européenne (UE), va saper sa crédibilité et provoquer une onde de choc dans les Balkans, où le retour de la France depuis 2017 avait été perçu comme un signe positif pour la stabilité régionale. Et ce, alors que le gouvernement de Skopje [capitale de la République de Macédoine du Nord] venait de prendre des décisions politiques historiques dans une région fragile, avare de réconciliations.

En effet, lorsque la République de Macédoine devient indépendante avec l’éclatement de la Yougoslavie, en novembre 1991, la Grèce impose qu’elle soit reconnue comme « l’Ancienne République yougoslave de Macédoine » (ARYM), ce que l’UE accepte.

Aussi, lorsque les premiers ministres Zoran Zaev et Alexis Tsipras trouvent un compromis sur le nom avec l’accord de Prespa, le 12 juin 2018, par lequel l’ARYM devient la République de Macédoine du Nord, ils mettent fin à un conflit historique et identitaire ancien.

Dépasser les conflits ethniques

Une décision audacieuse prise par Athènes alors que l’opposition – revenue au pouvoir récemment – la refusait et que les nationalistes manifestaient. Une décision courageuse à Skopje où la coalition fragile du premier ministre faisait suite au nationalisme exacerbé de Niola Gruevski – au pouvoir de 2006 à 2016 – qui avait appuyé son autoritarisme sur une réécriture de l’histoire et une débauche de statues de « héros macédoniens ».

En dépit d’oppositions souvent violentes, les deux premiers ministres ont obtenu la ratification de l’accord par leurs Parlements respectifs, animés par un esprit de compromis au nom de leur engagement européen. Skopje a aussi dû affronter un opposant extérieur de taille, la Fédération de Russie, laquelle voyait d’un très mauvais œil l’accès à l’Alliance atlantique que cet accord ouvrait à la Macédoine.

L’éclatement violent de la Yougoslavie fut accompagné de l’arrivée de nouveaux pouvoirs nationalistes et autoritaires. A l’exception de la Macédoine qui, avec l’aide de l’UE et de l’OTAN, a su surmonter un début de guerre civile entre sa majorité slave et sa minorité albanaise pour conclure l’accord d’Ohrid, en août 2001.

L’UE reconnut cette avancée par un accord de stabilisation et d’association, dans l’esprit de la « perspective européenne » offerte aux Balkans occidentaux au sommet de Thessalonique, en 2003. La Macédoine donnait alors un exemple de la possibilité de dépasser les conflits ethniques pour s’avancer vers l’intégration européenne qui lui était promise.

« Au nom de l’Europe »

La Macédoine reçut, en 2005, le statut de « candidat » à l’UE, mais l’obstruction résolue de la Grèce en raison de son nom bloquait toute ouverture des négociations d’adhésion. L’unanimité est en effet la règle en matière d’élargissement. Le veto d’Athènes favorisa l’avènement, pour une décennie, d’un pouvoir nationaliste, autoritaire et corrompu. Il fournissait aussi, il est vrai, un alibi commode pour surseoir au processus d’adhésion.

C’est précisément ce que le gouvernement de Zoran Zaev a changé depuis 2016, par des réformes de la justice et sa lutte contre la corruption, conformément aux attentes de Bruxelles. Parallèlement, il a lancé une politique de voisinage courageuse qui a abouti à l’accord avec la Grèce sur le nom du pays et à un accord d’amitié et de partenariat avec la Bulgarie, mettant fin, là aussi, à une histoire douloureuse et complexe.

Tout cela « au nom de l’Europe ». Il était dès lors logique que le Conseil européen du 29 juin 2018 ouvrît la porte des négociations d’adhésion à ce pays qui, meilleur élève, avait satisfait aux exigences rigoureuses de la Commission.

C’était compter sans la France et les Pays-Bas qui souhaitaient un approfondissement des réformes engagées, préalable à toute ouverture de négociation. Le président Macron avait déjà douché les espoirs en déclarant, en 2018, que l’UE devrait se réformer avant qu’elle ne s’élargisse à nouveau. Certes, selon la formule de la Commission, « l’UE doit être plus forte et plus solide avant de pouvoir s’étoffer », mais la France en a fait une antienne en opposant de façon quasi névrotique approfondissement et élargissement. On aime évoquer son coût, on oublie celui du non-élargissement.

Une grande déception dans les Balkans

Cette position réitérée créa un choc en Macédoine bien sûr, mais aussi dans les pays de la région les moins enclins à engager de vraies réformes et qui ne tardèrent pas à recycler un vieil adage des pays anciennement communistes de l’Europe de l’Est : « L’UE fait semblant de vouloir nous accueillir, nous faisons semblant de nous réformer ! »

Lors de la conférence des ambassadeurs le 27 août, Emmanuel Macron avait pourtant appelé à « réinvestir dans les Balkans pour ne pas laisser des pays non européens faire le jeu à notre place ». Mais, à Bruxelles, le 18 octobre, la France a souhaité que le « cadre des négociations » soit révisé pour plus de transparence et de réformes, alors même que la Macédoine et l’Albanie approfondissaient ces dernières dans un environnement politique difficile.

Le mieux est l’ennemi du bien : c’est précisément en ouvrant les négociations que l’UE pouvait exercer pleinement son soft power en favorisant les réformes et le dépassement des contentieux nationalistes.

D’autant que le Bundestag, sollicité par le gouvernement allemand, avait voté en ce sens à une large majorité. Après la levée du veto de la Grèce, la France oppose maintenant le sien. Plus qu’une erreur c’est une faute. Et au-delà de l’isolement français, c’est la parole même de l’UE qui est discréditée.

La brutale conclusion du Conseil européen va créer une grande déception dans les Balkans. La Russie, la Chine, la Turquie et d’autres « prédateurs » vont profiter de ce vide. Quant à la France, revenue dans la région où elle a des liens historiques et économiques anciens et forts, elle vient de perdre une grande part de son crédit et contribue à perdre celui de l’UE.

La présidente de la Commision européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que « l’adhésion est un investissement dans la paix, la sécurité et la stabilité de l’Europe ». Elle aura fort à faire pour concrétiser ce vœu, car l’UE a failli à sa parole et risque d’en payer un prix fort.

Pierre Mirel est ancien directeur général à la Commission européenne (2001-2013), chargé d’enseignement à Sciences Po ; Jacques Rupnik est directeur de recherches et professeur à Sciences Po (CERI)

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