En Pologne, une relecture de l’histoire face à l’Holocauste

Le monument aux héros du ghetto à Varsovie, le 6 février 2018. © Alik Keplicz
Le monument aux héros du ghetto à Varsovie, le 6 février 2018. © Alik Keplicz

La multiplication des articles parlant de la Pologne qui s’efforcerait de «récrire l’histoire» ou de «nier sa complicité dans la Shoah» est à peine croyable. Il est vrai que c’est le résultat immédiat d’une opération politico-juridique menée à Varsovie de manière inadéquate et très maladroite; mais rien ne justifie que l’on fasse aujourd’hui passer pour une vérité historique la prétendue responsabilité du peuple polonais face à l’Holocauste.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a fait, le 3 février dernier, une déclaration qui ne manque pourtant pas de clarté, ni de classe: «Il n’y a pas le moindre doute sur la question de savoir qui porte la responsabilité des camps d’extermination, qui les a établis et administrés, qui a tué des millions de juifs d’Europe: ce sont les Allemands. C’est notre pays et personne d’autre qui a organisé cette extermination massive. Les collaborations isolées ne changent rien à cela […]. Pour quiconque s’est rendu une fois à Auschwitz ou à Majdanek, il est clair qu’il s’agissait de camps de concentration allemands. L’expression «camps polonais» est fausse. Ce n’est pas par hasard que ces camps se sont trouvés en Pologne: c’est que la culture polonaise devait être anéantie, comme l’existence même des juifs.» Curieusement, ces propos si univoques n’ont été que très timidement relayés dans les médias.

Loi aberrante

Pourquoi faut-il donc rappeler aujourd’hui que la Pologne a été attaquée et occupée par les Allemands et les Russes en septembre 1939, que sa population a souffert comme aucune autre en Europe, qu’elle a résisté aux occupants tant qu’elle a pu, que ses soldats se sont battus dans les rangs des alliés sur tous les fronts? Des collaborations, des mouchards? Oui, il y en a eu en Pologne, de même qu’il y en a eu dans tous les pays occupés par les Allemands: aucune nation n’a le monopole de la bassesse humaine; aucune nation n’en est exempte.

On peut reprocher au gouvernement polonais de vouloir imposer des règles judiciaires au débat public sur l’histoire, mais, sur ce sujet du moins, ce n’est pas lui qui s’efforce de «réécrire l’histoire». Ce qu’il a fait, c’est de modifier la loi sur l’Institut de la Mémoire Nationale, qui permet désormais de citer en justice toute personne affirmant publiquement que les Polonais sont responsables de l’Holocauste. Laissons de côté cette loi qui est aberrante en tant que telle et mériterait une analyse approfondie.

Exaspération compréhensible

Revenons au débat qu’elle a suscité. Depuis des années, la Pologne se bat pour empêcher la prolifération de l’expression «camps polonais d’extermination»; sans beaucoup de succès. Le peuple polonais est particulièrement sensible sur ce point; la mesure récemment adoptée est l’expression d’une exaspération compréhensible, mais elle a aussi les traits d’une opération de marketing politique tournée vers les électeurs du pays. Il va de soi que plus on accusera les Polonais de fautes qu’ils n’ont pas commises en tant que nation, plus on renforcera les effets de cette politique en Pologne même. Est-ce cela que veulent ceux qui, par ailleurs, prétendent promouvoir une Europe intégrée et solidaire?

En clair, l’imputation d’une responsabilité majeure à la Pologne face à l’Holocauste est déplorable pour au moins trois raisons: 1. Elle révèle une lecture de l’histoire qui confine ni plus ni moins au révisionnisme; 2. Elle inflige une offense grave et injustifiée à un peuple qui n’est pas moins respectable qu’un autre; 3. Elle aura immanquablement pour effet de renforcer, en Pologne, les réflexes identitaires les plus primaires au bénéfice de ceux qui font du ressentiment et de la fermeture le fondement de leur stratégie électorale.

François Rosset, professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne.

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