En Roumanie, le parti socialiste dans la tourmente

Les manifestations contre le gouvernement socialiste, fraîchement nommé, s’enchaînent à Bucarest. Le flot des manifestants bravant le froid de janvier ne cesse de grandir, atteignant jusqu’à 20 000 personnes comme dimanche soir. On compte également plusieurs milliers de manifestants à travers le pays et les capitales européennes. Parmi les frondeurs, le Président Klaus Iohannis. Dans leur ligne de mire: le projet de loi de réforme du code pénal initié par le nouveau Premier Ministre Sorin Grindeanu et son ministre de la Justice, Florin Iordache.

Si les manifestants réitèrent les slogans qui avaient fait chuter l’ancien gouvernement socialiste de Victor Ponta il y a plus d’un an, ils dénonçent un projet de loi qui viserait à faire sortir de prison le personnel politique corrompu. Or, tout le monde n’est pas du même avis.

Après lecture du projet de loi, de nombreux professionnels de la justice tentent d’apaiser les esprits en rappelant que la modernisation du code pénal est d’abord une exigence européenne. A cela, se greffe la nécessité de moderniser un système pénitentiaire archaïque.

Le DNA, parquet anti-corruption, s’est lui-même saisi de l’affaire, en publiant sur son site un réquisitoire dans lequel il rappelle que le projet de loi nécessite un remaniement afin d’être conforme à la constitution.

Si ces interactions sont le signe du bon fonctionnement de la démocratie et d’un dialogue dynamique entre le politique et les citoyens, le long passé de certains membres du parti socialiste avec la justice semble à présent constituer un frein au bon fonctionnement du gouvernement du Parti social-démocrate (PSD).

Depuis plusieurs années, le PSD traîne une image négative qui a, peu à peu, transformé le parti en symbole dans l'inconscient collectif. Cette vision simpliste, l’incapacité de son élite à prendre ses distances et à condamner publiquement les dérives de certains de ses membres reconnus coupables de faits de corruption, ont abouti au blocage que l’on constate aujourd’hui, ainsi qu’au rejet d’une grande partie de l’opinion publique.

Après sa victoire aux législatives de décembre, Liviu Dragnea, le Président du parti, semblait être destiné au poste de Premier ministre. Or, celui qui a mené une des campagnes les plus intéressantes du PSD depuis la chute du mur, s’est heurté à un refus catégorique de la part du Président libéral Klaus Iohannis. S’appuyant sur une disposition législative qui empêche tout élu ayant à faire avec la justice d’être membre du gouvernement, Dragnea, condamné pour fraude électorale, a été débouté avant même que son nom ne soit proposé.

Cet épisode a contribué à un durcissement des rapports entre le Président et la majorité parlementaire. La proposition de Sevil Shhaideh, issue de la minorité tatare et membre du PSD, n’a pas non plus été un succès. Cette musulmane aurait été la première femme à ce poste en Roumanie. Peu connue du grand public, elle a été soupçonnée d’être un personnage de paille et, compte tenu du contexte international, sa nomination aurait fait peur aux plus vieux partisans du PSD.

Sur le point de perdre jusqu’au soutien de sa base électorale, le parti a finalement proposé Sorin Grindeanu, l’actuel Premier ministre. Mais les déboires du PSD ne se sont pas achevés pour autant. La convocation du Parlement en session extraordinaire programmée sur la totalité des vacances parlementaires, qui ont lieu durant tout le mois de janvier, a déchaîné les passions. Cette procédure, peu commune, jamais appliquée jusqu’ici sur une telle durée, a même donné lieu à un changement sémantique.

Pour certains spécialistes qui craignaient une instrumentalisation du PSD visant à faire passer des lois en faveur de ses membres, l’institution est désormais un «parlement fantôme». De plus, son fondateur, l’ancien Président Ion Iliescu, vient d’être officiellement mis en accusation pour crime contre l’humanité pour les minériades des 13-15 juin 1990. A ses côtés sur le banc des accusés, les vieux de la vieille, dont l’ancien Premier ministre Petre Roman, Gelu Voican Voiculescu, qui avait participé au procès des Ceausescu, et l’ancien directeur des services secrets, Virgil Magureanu. Cette mise en accusation, vingt-six ans après les faits, du fleuron de ses fondateurs, n’a pas aidé le PSD à construire une image pacifiée.

L’incapacité du parti socialiste à renouveler son image, de même que la condamnation et l’implication quasi-systématique de ses membres les plus éminents dans des affaires judiciaires de haut niveau l’empêchent à présent de gouverner. Toute tentative de légiférer dans le domaine pénal est perçue par l’opinion publique comme la volonté de renforcer des privilèges.

Une clarification et une condamnation discursive claire sont donc nécessaires. Il est à espérer que le PSD réussisse ce pari afin de dépasser la crise, sans quoi le pays s’enlisera dans un bras de fer, sinon une paralysie législative, qui risque de durer et de nuire à tous.

Irène Costelian, correspondante à Bucarest.

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