En Russie, l'absence d'Etat de droit affaiblit Vladimir Poutine

Le 18 mars 2018, Vladimir Poutine va concourir pour son quatrième mandat présidentiel. Sa réélection, soigneusement préparée, semble pratiquement assurée. Une loi sur mesure votée en 2012 empêche Alexeï Navalny, le seul leadeur d’opposition en mesure de contrer M. Poutine, de se porter candidat. Nous allons donc assister à nouveau au triomphe d’un simulacre de démocratie, une élection sans choix.

Cependant, la réélection de Vladimir Poutine ne résoudra pas la question de savoir comment il parviendra à préserver son rôle politique et le régime qui lui est lié au-delà de 2024. Cherchera-t-il encore à échanger les fonctions avec le premier ministre Dimitri Medvedev pour respecter la Constitution interdisant un troisième mandat sans préciser le nombre total de mandats qu’une personne peut assumer dans sa vie politique ? Voudra-t-il au contraire modifier la Constitution pour lui permettre de gouverner indéfiniment en tant que président ou encore établir une République parlementaire pour assurer son pouvoir à travers le parti ?

Les manquements répétés à un passage pacifique du pouvoir attestent d’une absence d’Etat de droit sans lequel aucune succession ne peut être légitime. Voici la grande leçon de l’histoire russe : l’Etat de droit est une question plus difficile que celles qui entourent la démocratie, le constitutionnalisme voire les institutions. Tous ses principes – la précision, la non-rétroactivité, l’universalité – peuvent être condensés dans cette maxime latine : nulla poena sine lege – littéralement « pas de sanction sans une loi ». Ainsi ce n’est pas par manque d’éducation que la Russie a négligé l’Etat de droit, mais parce qu’il n’y avait pas le personnel pour le mettre en œuvre : des fonctionnaires bien formés, des juristes professionnels, des juges indépendants. Et de fait, l’Etat de droit s’est enraciné en Europe occidentale grâce à l’émergence d’une classe de fonctionnaires exerçant une pression et défendant leur intérêt collectif.

La cour de Vladimir Poutine

Vladimir Poutine lui-même a étudié le droit et s’est évertué à défendre l’Etat de droit alors qu’il était maire adjoint de Saint-Pétersbourg, mais depuis son accession au pouvoir, il n’a rien fait pour le promouvoir et a fait beaucoup pour empêcher son renforcement.

Dans la Russie d’aujourd’hui, toute forme de progrès et de modernité coexiste avec la réactivation de l’ensemble du spectre des pratiques sociales archaïques. Le président Poutine a si bien réduit le pouvoir de la Douma (chambre basse) que le Parlement est devenu l’exécuteur de sa volonté, validant toutes les lois de son bon vouloir même si elles sont rétroactives ou ad hominem, parfois pour profiter à un cercle restreint de ses amis, ou pour justifier l’action arbitraire de ses subordonnés.

Au lieu de renforcer l’administration par la loi, Vladimir Poutine s’appuie sur une suite composée historiquement de ses amis les plus fidèles. La suite de Poutine, initialement formée des anciens de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) qui s’étaient naguère associés à lui pour construire leurs résidences de vacances au bord d’un lac, est désormais devenue un groupe de milliardaires dont les entreprises ont produit des revenus de 40 milliards de dollars en 2016, dont deux tiers proviennent du budget fédéral ou régional ou encore d’entreprises de l’Etat.

Pour canaliser le fleuve d’argent qui s’écoule dans leurs poches, les camarades de Poutine possèdent des réseaux complets de sociétés nationales et offshore qui mettent en relation leurs différentes activités financières et leurs instruments d’investissement afin de placer leur argent à l’abri loin de la Russie. La plupart des membres de la cour de Vladimir Poutine font maintenant l’objet de sanctions de la part de l’Union européenne et des Etats-Unis, mais leur argent fut naguère bien accueilli par les institutions financières de Londres, Paris, Zurich et New York.

Guerres bureaucratiques incessantes

Les prochaines élections en Russie révèlent un paradoxe récurent. L’affaiblissement de l’Etat de droit a finalement affaibli Vladimir Poutine. Le pouvoir d’un dirigeant en Russie est intrinsèquement faible car il est à la fois inefficace et inefficient. La bureaucratie russe – bien que le nombre de ses effectifs s’accroisse – est impuissante et dysfonctionnelle. La Russie n’est pas gouvernée par des lois mais par des décrets : environ un millier chaque année contre trente-deux en moyenne aux Etats-Unis.

L’administration présidentielle a remanié les gouvernements depuis 2003, sans succès. Les ministères sont constamment fusionnés et à nouveau séparés ; les guerres bureaucratiques sont incessantes, et de nouveaux systèmes de gouvernement parallèles sont mis en place dans le gouvernement fédéral. Malgré tout, le pouvoir vertical est notoirement dysfonctionnel et ne se met en marche que sous les ordres de l’administration présidentielle. Vladimir Poutine ne parvient pas à limiter les dépenses pour les infrastructures, ce qui conduit à de sérieux dépassements de coûts dans un pays relativement pauvre.

Selon les indicateurs de gouvernance mondiale de la Banque mondiale, elle n’a pas réussi à faire progresser l’efficacité du gouvernement. La Russie se maintient dans le dernier quart de l’indicateur de l’Etat de droit et a été abaissée dans l’indicateur de contrôle de la corruption.

Le président Vladimir Poutine est un autocrate particulier puisqu’il est parfaitement légitime. Mais sa légitimité est exclusive puisqu’elle est personnelle et non transmissible. La Constitution actuelle ne limite pas son pouvoir personnel. Cela n’est pas suffisant pour réussir une succession. Quelle que soit la raison pour laquelle le président Poutine a renoncé à amender la Constitution, il a manqué l’occasion et les options alternatives sont épuisées. A moins que le chef de l’Etat ne permette l’instauration de l’Etat de droit, il ne pourra quitter le pouvoir.

Ekaterina Kuznetsova et Edward Luttwak sont les auteurs de The Kremlin Paradox : « Power and Weakness of Russia’s rulers » (« Le paradoxe du Kremlin : puissance et faiblesse des dirigeants russes »), à paraître en 2018.

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