En Syrie, Assad a déjà gagné, et haut la main

A Washington, l’année 2018 s’est refermée avec l’annonce, relativement brutale, d’un retrait des troupes américaines (quelque 2 000 soldats) déployées en Syrie. Depuis le 19 décembre et le coup d’éclat inattendu du président Donald Trump, les déclarations contradictoires se sont certes multipliées, émanant pour la plupart de membres clés de son administration et tendant à atténuer l’idée d’un départ rapide des Etats-Unis.

L’optique d’une présence américaine réduite exerce cependant une influence directe sur les calculs des différents protagonistes du conflit dont, au premier plan, ceux du régime syrien. A ce titre, les récentes manœuvres américaines ne modifient en rien la stratégie de Damas, la même depuis 2011 – une reconquête globale du pays –, mais elles soulèvent certaines questions essentielles quant à l’issue plausible de la guerre.

Bachar Al-Assad, qui n’a jamais cessé de nourrir le dessein d’une récupération totale des territoires perdus, est indéniablement sorti renforcé des opérations militaires menées par ses troupes et ses alliés au cours de l’année écoulée : à la chute de la Ghouta orientale en avril 2018 a succédé, quelques mois plus tard, la reprise à l’opposition armée de plusieurs autres fiefs stratégiques, dont la symbolique province méridionale de Deraa où, en 2011, avait pris corps le soulèvement démocratique syrien.

Tout en consolidant son emprise politique sur la « Syrie utile » – l’ouest du pays qui concentre l’essentiel de sa population et de son économie –, le régime a pu éloigner toute menace sécuritaire majeure qui viserait la capitale.

Il ne reste ainsi que deux poches géographiques qui continuent d’entraver l’horizon d’une victoire finale et décisive de Damas. Le gouvernorat d’Idlib, au nord du pays, qui est passé, en janvier, sous la coupe des djihadistes de l’organisation Hayat Tahrir Al-Cham (ancien Front Al-Nosra lié à Al-Qaida) au terme de féroces combats contre les factions du Front de libération national, elles-mêmes soutenues par la Turquie. Le Kurdistan oriental ensuite (Rojava, nord et nord-est), notamment le canton d’Afrin où, en janvier 2018, était déclenchée par l’armée turque avec l’appui de l’Armée syrienne libre l’opération Rameau d’olivier contre les Forces démocratiques syriennes et Unités de protection du peuple (YPG), associées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et considérées comme une menace existentielle par le pouvoir du président turc Recep Tayyip Erdogan.

Implosion attendue de la rébellion

Si les derniers développements à Idlib sanctionnent la fin du compromis de Sotchi négocié en septembre 2018 par Ankara et Moscou, la Turquie est principalement centrée sur la région kurde à présent, et s’est d’ailleurs symptomatiquement saisie de l’attentat ayant tué quatre Américains, le 16 janvier, dans la ville de Manbij pour proposer à Trump de placer le nord-est de la Syrie sous son contrôle.

Parallèlement, la neutralisation des groupes armés les plus mesurés à Idlib a ouvert la voie à une opération militaire d’envergure du régime contre les djihadistes les plus radicaux, encouragée de longue date par la Russie et à laquelle la Turquie ne s’opposera pas.

Dans ce jeu complexe, Damas tire profit de la percée djihadiste d’Idlib pour justifier la poursuite de sa répression et ses avancées territoriales. De toute évidence, Assad voit d’un très bon œil l’élimination de l’opposition armée dite « modérée » dans cette province, de même que l’évacuation vers Afrin de ses derniers éléments.

En matière d’intérêts bruts, quoique le président syrien ait dépêché ses troupes aux portes de Manbij en réponse aux menaces turques d’une invasion, il tirera profit, dans tous les cas de figure, d’une implosion des rangs de la rébellion syrienne dans cette zone et de sa neutralisation à long terme. De fait, Assad n’a aucun désir de voir se constituer une région kurde autonome dans la durée, contraire à ses ambitions de réaffirmation nationale.

Sans doute prématuré, c’est un climat de triomphe qui règne ainsi aujourd’hui dans les rues de la capitale syrienne. Envisagées dans leur ensemble, les évolutions militaires, politiques et diplomatiques des six derniers mois viennent en effet confirmer le scénario d’une victoire définitive du régime.

On peut même soutenir, sans grande hésitation, qu’Assad a remporté le conflit haut la main, en dépit de ses phases les plus sanglantes. Les rebelles ont quasiment tous été écrasés sur le terrain, l’opposition politique à l’intérieur comme à l’extérieur du pays n’est plus qu’une peau de chagrin, et la plupart de ses figures ont perdu le soutien de leurs anciens mentors étrangers, lesquels ne cherchent même plus à remettre en cause la survie du régime.

Les voisins tendent la main

Un processus de réhabilitation est d’ailleurs clairement à l’œuvre dans tout le Moyen-Orient, où plusieurs pays (Emirats arabes unis, Bahreïn, Koweït, pour ne citer que ceux-ci) entendent rouvrir des ambassades à Damas et rétablir des liens avec Assad. Il est aussi question d’un retour rapide de la Syrie dans le concert de la Ligue arabe, sous la pression de l’Irak et du Liban, deux Etats favorables au pragmatisme dans la gestion de la crise syrienne.

Quant aux opposants, nombreux sont ceux qui tentent un rapprochement avec le pouvoir, voire qui se sont déjà rangés derrière lui. Se sentant trahis par leur parrain américain, les Kurdes ont quant à eux d’ores et déjà sollicité la protection d’Assad contre la Turquie, une démarche qu’ils avaient déjà entreprise par le passé.

Si cette main tendue, pour l’heure essentiellement militaire, devait se traduire par une alliance politique plus stable dans le contexte du retrait à venir des Etats-Unis, alors il s’agirait d’un tournant crucial. Seuls face à l’armée turque, sans plus aucun soutien extérieur, les Kurdes ne disposeront du reste que d’options très restreintes.

Une restauration de la souveraineté de Damas dans le nord-est du pays pourrait de surcroît constituer le point de départ de pourparlers plus pondérés avec Ankara, par le biais de Moscou, à la condition de réelles garanties sécuritaires. Assad aurait alors bel et bien atteint son objectif d’une reprise intégrale de la Syrie, au bout de huit ans d’un conflit dévastateur.

Myriam Benraad, ppolitologue. Il a écrit « Jihad : des origines religieuses à l’idéologie. Idées reçues sur une notion controversée », Le Cavalier Bleu, coll. « Idées reçues » 2018.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *