En Syrie, il faut choisir le moindre mal

Il faut rompre avec cette passivité. Face aux crimes du régime syrien, les Etats-Unis et l’Europe s’indignent, sanctionnent, ne cessent plus de hausser le ton, mais leurs actes sont aussi inexistants que leurs déclarations vigoureuses. Le résultat n’en est plus seulement que les massacres s’amplifient et que le nombre de déplacés et de réfugiés grandit quotidiennement. Ce n’est plus seulement que la barbarie de ce régime est toujours plus odieuse mais qu’il entreprend maintenant de déstabiliser toute la région dans l’espoir d’intimider ses voisins et le monde. Car il ne faut pas s’y montrer. Les obus de mortier qui s’abattent en territoire turc ne sont pas dus à des erreurs de tir. L’assassinat, vendredi dernier, du chef des services de renseignements de la gendarmerie libanaise, le général al-Hassan, ne relève pas d’une sale manie. Les premiers viennent signifier à la Turquie que, si elle continue d’apporter un soutien politique à l’insurrection syrienne et d’héberger ses chefs, le clan Assad relèvera le gant en jouant la carte kurde. Le message envoyé à Ankara est que le boucher de Damas serait prêt, s’il le fallait, à encourager les Kurdes de Syrie à affirmer une autonomie qu’ils développent déjà afin qu’un Kurdistan syrien s’ajoute au Kurdistan irakien et que les Kurdes de Turquie en soient eux-mêmes encouragés à reprendre les armes.

C’est notre survie ou le chaos régional, disent ces salves d’avertissement et le second message de Damas est encore plus clair. En faisant assassiner Wissam al-Hassan, le régime syrien a voulu montrer au Proche-Orient et au monde qu’il disposait toujours des moyens de relancer la guerre civile au Liban et d’amener ainsi ses alliés du Hezbollah chiite à se ranger à ses côtés plus nettement qu’il ne l’a fait jusqu’à présent en rouvrant les fronts libanais et israélien. C’est une force destructrice au pouvoir de nuisance considérable que l’Occident laisse libre d’agir mais pourquoi les Etats-Unis et l’Europe ne passent-ils pas des paroles aux actes contre un régime qui ne reculera que devant la force ?

Ce qui les retient d’intervenir dans ce conflit, c’est d’abord qu’il faudrait se passer, pour le faire, de l’accord du Conseil de sécurité où la Chine et la Russie disposent d’un droit de veto. Si les Occidentaux en arrivaient là, ils briseraient l’ONU qui, aussi paralysée et insatisfaisante qu’elle soit, n’en reste pas moins la seule enceinte de concertation mondiale et la source de toute légalité internationale. L’ONU marginalisée, grandes et petites puissances pourraient faire ce que bon leur semble. Ce serait le retour à la loi de la jungle et la fin des conventions internationales qui introduisent un minimum de droit commun dans l’arène mondiale. Ce n’est pas une décision qu’on pourrait prendre à la légère et la seconde chose qui retient les Occidentaux est que l’armée et l’aviation syriennes sont loin d’être aussi faibles que celles de Muammar al-Kadhafi, qu’une intervention en Syrie serait une vraie guerre et qu’il y aurait, de surcroît, toute chance que l’Iran s’y implique et la transforme alors en un conflit qui s’étendrait à tout le Golfe, au réservoir de pétrole dont dépend une économie mondiale déjà en crise. Aucun chef d’Etat ne saurait sous-estimer ces risques mais est-ce à dire qu’il n’y aurait vraiment rien à faire et que l’humanité devrait se résoudre à laisser ce régime d’assassins continuer à bombarder ses villes, tuer et torturer jusqu’à des enfants ?

Cette question hante les dirigeants occidentaux dont il est bien trop facile de faire des «Munichois» mais leur consensus actuel est qu’on ne pourrait pas même livrer des armes aux insurgés parce qu’elles pourraient tomber aux mains de jihadistes, être retournées un jour contre l’Occident, permettre des attentats terroristes et servir à la déstabilisation de pays voisins de la Syrie. C’est vrai. Ces dangers seraient réels mais c’est pourtant à l’aune d’autres dangers, ceux de la passivité occidentale, qu’il faut les peser. Plus le temps passe, plus cette insurrection qui avait été non-violente se radicalise, plus elle déchire les communautés syriennes et plus elle fait place à des combattants jihadistes qui trouvent là l’occasion de rebondir en dénonçant l’hypocrisie occidentale. C’est l’inaction de l’Occident qui transforme cette révolution démocratique en guerre de religions - la majorité sunnite contre la minorité chiite au pouvoir. C’est elle qui creuse ce fossé et place les chrétiens dans une situation impossible. C’est elle qui prête la main aux jihadistes, rend cette crise toujours plus insoluble et précipite une régionalisation qu’il faut arrêter. Entre deux maux, il faut choisir le moindre car plus durera Assad, plus la situation sera inextricable. Il faut livrer des armes à l’insurrection car c’est ainsi, et pas autrement, qu’on combattra tout à la fois la barbarie de cette dictature et les partisans de la guerre sainte.

Bernard Guetta

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