En Ukraine, la “révolution de la ­dignité” a abouti à la corruption, au nationalisme et au déclin des libertés

Bien que le régime politique ait changé en Ukraine en février 2014, le système politique et socio-économique semble s’être maintenu. La « révolution de la dignité » a abouti à une corruption éhontée, à un nationalisme militant et au déclin des libertés.

La lutte contre un régime injuste unissait le mouvement de la place Maïdan, qui comprenait trois courants. Pour les libéraux, l’association avec l’Union européenne (UE) devait garantir le ­développement du pays. Les ethno-nationalistes percevaient, eux, le mouvement comme une phase de la révolution nationale qui mènerait à la création d’un Etat dominé par un seul groupe ethnique, une seule langue et une seule Eglise. Enfin, les oligarques, privés de leurs biens par le régime d’alors, voulaient revenir à un pluralisme politique et économique. Quant au reste de la population, elle espérait juste survivre dans cette ­période de crise économique, de guerre avec des séparatistes soutenus par les Russes et de désordre post-révolutionnaire.

Un des pays les plus corrompus du monde

L’accord d’association avec l’Union européenne, signé en 2014, entre en vigueur ce 1er septembre. Son coût est élevé : le pays ne peut espérer mieux qu’une association. Devenir membre de l’UE n’est plus d’actualité.

Des institutions importantes de lutte contre la corruption ont certes été mises en place. Les autorités locales ont reçu plus de pouvoirs et de moyens. La « lustration » – l’épuration de la fonction publique – et la réforme du secteur public devaient améliorer la qualité de l’administration, de la justice et de la police. Enfin, la déréglementation a facilité la création d’entreprises en Ukraine. Mais l’occidentalisation a eu des résultats troublants. Les institutions de lutte contre la corruption ne doivent leur existence qu’au soutien des gouvernements occidentaux, les politiques menées sont souvent utilisées par les dirigeants contre leurs rivaux, et l’Ukraine demeure l’un des pays les plus corrompus du monde.

La réforme sur la décentralisation, après quelques pas, est à l’arrêt depuis 2016. Et si, en 2014, la lustration a suscité beaucoup d’espoirs, sa mise en œuvre a conduit à un résultat désastreux : des bureaucrates expérimentés ont été licenciés alors que leurs chefs corrompus sont restés au pouvoir. La justice a subi une très lente et douloureuse réforme. Elle pourrait certes devenir indépendante mais, jusqu’à présent, seul le président a accru son contrôle sur les juges et les procureurs.

Les réformes n’ont pas débouché sur une réelle croissance

La réforme de la police a connu un court succès, mais aujourd’hui le ministre de l’intérieur est impuissant, incapable de réagir et de prévenir les crimes dans un pays qui compte beaucoup d’armes de guerre et une nouvelle génération d’anciens combattants et qui souffre de la montée du chômage.

Les réformes économiques donnent une bonne image du gouvernement dans les classements internationaux. Cependant, les réformes n’ont pas débouché sur une réelle croissance. Nous n’avons toujours pas retrouvé le PIB par habitant de 1990 et aucune catégorie sociale ne bénéficie de la transition de l’économie postsoviétique.

Le programme des nationalistes est également partiellement mis en œuvre. A cause de la guerre, leur rôle s’est accru dans le secteur de la sécurité. La loi dite de « dé-communisation » votée en mai 2015 a créé un monopole idéologique dans un pays qui, tirant la leçon du passé soviétique, avait interdit l’idéologie unique dans sa Constitution. Cette vague a été suivie par des lois augmentant les droits des ukraino­phones au détriment de ceux des russophones. Les groupes d’extrême droite se sont multipliés et sont plus que jamais en lien avec les clans oligarques. Et la classe politique ukrainienne a nettement basculé à droite.

Cependant, l’extrême droite trouve la loi sur la politique linguistique trop douce [adoptée en mai, cette loi oblige les chaînes de télévision à diffuser 75 % de leurs programmes en ukrainien] et le nombre de dirigeants qui ne sont pas de vrais Ukrainiens trop élevé. Pour eux, la révolution nationale doit continuer. Et la guerre actuelle [dans la région du Donbass, contre les séparatistes prorusses] donne à l’extrême droite une raison d’espérer.

Les oligarques semblaient être les grands perdants du mouvement de la place Maïdan, il y a trois ans. Selon le classement Forbes, à la fin de l’année 2015, les dix plus grandes fortunes ukrainiennes, à l’exception du président Porochenko, ont perdu près de la moitié de leur richesse. Cependant, grâce aux contradictions entre d’un côté l’occidentalisation de l’Ukraine et de l’autre la situation militaire, les oligarques sont revenus dans le jeu et ont accru leur pouvoir entre 2014 et 2017. Certains d’entre eux, comme Arsen Avakov, l’inamovible ministre de l’intérieur, ont utilisé cette situation pour restaurer leur empire.

Dissidents persécutés

Mais jusqu’ici, le grand vainqueur est de loin le clan du président Porochenko. En 2016, il réussit à consolider le pouvoir en plaçant ses alliés aux plus hautes fonctions. Par conséquent, l’exécutif, le législatif et le judiciaire sont en grande partie ­contrôlés par un seul clan. Les voix critiques de la société civile sont devenues les proies d’un autocrate émergent : aujourd’hui, en Ukraine, une nouvelle génération de dissidents est persécutée par le président et ses proches.

Les transitions et les révolutions dans les pays d’Europe de l’Est semblent frappées du même mal. Elles commencent toutes par des rêves utopiques, qui mènent à une réalité dystopique. L’histoire récente de l’Ukraine le prouve.

Mikhaïl Minakov, politologue et historien ukrainien, est rédacteur en chef de la revue The Ideology and Politics Journal. Traduit de l’anglais par Fatoumata Diallo.

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