En un an, le pape François a éclipsé Benoît XVI

Il lui a suffi de quelques phrases en latin prononcées il y a un an pour disparaître des écrans. Depuis le 11 février 2013, ou, plus exactement, depuis le 28 de ce mois, date officielle de sa retraite, le pape émérite Benoît XVI s'est volatilisé. Une photo volée dans les jardins de Castel Gandolfo, une casquette blanche vissée sur la tête, deux apparitions furtives en compagnie de son successeur sont les seules traces du pape allemand depuis sa renonciation inédite. Son effigie a même pratiquement disparu des échoppes d'articles religieux qui bordent la place Saint-Pierre à Rome.

Par ses gestes, ses phrases-chocs, sa décontraction et des priorités plutôt consensuelles – attention aux pauvres, miséricorde, ouverture de l'Eglise sur les « périphéries » –, le nouvel élu, François, l'a éclipsé, attirant sur l'Eglise catholique une lumière dont elle n'avait pas bénéficié depuis des années. Le style, rigide et ampoulé, de Benoît XVI, sa vision du monde et de l'Eglise, sombre et alarmiste, ses écrits, complexes, ses expressions, malheureuses, avaient fini par rendre son message inaudible, incompris, voire rejeté par une partie des catholiques. L'Eglise a visiblement trouvé avec François un messager plus convaincant, une « autorité morale » qui parle aussi aux non-croyants.

Mais le retentissement de ses prises de parole brouille la perspective. Comme si Benoît XVI avait emporté dans sa retraite des années de discours de l'Eglise ; et comme si François reprenait les choses de zéro. Une plongée dans les textes des deux hommes prouve que tel n'est pas vraiment le cas. Car François, faut-il le rappeler, fait sienne l'entièreté des enseignements de l'Eglise. Alors, le pape argentin est-il vraiment plus « marxiste », plus « féministe », plus « homophile », plus « laxiste » que son prédécesseur, adjectifs dont la presse mondiale et certains croyants l'ont qualifié ces derniers mois ?

Pour ses prises de position tranchées contre l'économie qui « tue » et sa critique du capitalisme, le pape François a été qualifié de « marxiste » par des néoconservateurs américains. Sa charge contre « une économie sans visage », « les forces aveugles et la main invisible du marché », dans sa première exhortation apostolique Evangelii gaudium, a marqué les esprits. Elle reprend pourtant le fond de la doctrine sociale et économique de l'Eglise.

Benoît XVI pourfendait aussi « le capitalisme financier non réglementé », précisant en janvier 2013 : « Ces derniers siècles, les idéologies qui célébraient le culte de la nation, de la race, de la classe sociale se sont révélées de véritables idolâtries ; et l'on peut en dire autant du capitalisme sauvage avec son culte du profit. » Les deux hommes partagent aussi le refus du culte de l'argent, cette « avidité des biens » qui « prend le pas sur l'exigence d'une distribution équitable des richesses », pour François, qui nuit « au partage », selon Benoît XVI.

LA « MANIÈRE D'ÊTRE PAPE »

Mais c'est surtout sur les questions éthiques et de morale que beaucoup ont voulu voir une évolution. Une chose est certaine : contrairement à ses prédécesseurs, François se refuse à parler « en permanence des questions liées à l'avortement, au mariage homosexuel ou à l'utilisation des méthodes contraceptives ». Et cela, en soi, est une rupture. Mais, sur le fond, la continuité est assurée. « La seule pensée que des enfants ne pourront jamais voir la lumière, victimes de l'avortement, nous fait horreur », a déclaré François, début janvier, avant de soutenir des manifestations antiavortement à Paris et à Washington.

« Il s'agit d'une question qui regarde la cohérence interne de notre message, on ne doit pas s'attendre à ce que l'Eglise change de position sur cette question », a-t-il aussi expliqué. Benoît XVI, lui, ne s'est pas privé de condamner, en toutes circonstances, le « meurtre d'enfants innocents ».

Sur l'homosexualité, François lui-même a souhaité expliciter sa célèbre phrase : « Si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu'elle est en recherche de Dieu, qui suis-je pour la juger ? » « Disant cela, j'ai dit ce que dit le catéchisme », a expliqué le pape, pour qui les homosexuels sont des « blessés de la société », et le mariage homosexuel, une « guerre contre Dieu ». Benoît XVI était allé jusqu'à interdire de séminaire les hommes affichant « des tendances homosexuelles ». L'avenir dira si, conformément à son discours apparemment plus ouvert, François reviendra sur cette mesure.

Sur un tout autre sujet, on prête aussi beaucoup au pape François. A plusieurs reprises, il a affirmé vouloir donner davantage de responsabilités aux femmes. Enthousiastes, certains sont allés jusqu'à envisager la création de « femmes cardinales ». Le pape en a écarté l'idée. Et l'on reste pour l'heure dans le déclaratif. « Il est nécessaire de diffuser une plus forte présence des femmes dans l'Eglise ; nous devons travailler plus durement pour développer une profonde théologie de la femme », a-t-il assuré. Parallèlement, sa manière d'exalter « la sensibilité, l'intuition » des femmes, les modèles de « mères » qu'il cite en exemple laissent entrevoir une vision traditionnelle du sexe féminin. Tout au long de son pontificat, Benoît XVI aussi a souligné la nécessité « d'ouvrir aux femmes de nouveaux espaces et de nouveaux rôles à l'intérieur de l'Eglise ».

En révolutionnant la « manière d'être pape », François a réussi son pari de « positiver » le message de l'Eglise et d'accroître son audience… en dépit d'une continuité avec un Benoît XVI fidèle depuis un an à son voeu de silence.

Stéphanie Le Bars, journaliste au Monde. Spécialiste des questions de religions et de laïcité.

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