Encore un effort pour être vraiment efficace !

Depuis sa première réunion au niveau des chefs d'Etat en 2008, le G20 est présenté comme le nouvel alpha et omega de la gouvernance mondiale. La mise en scène de ces grand-messes obéit à une chorégraphie désormais bien rodée : dramatisation en amont des enjeux - le G20 pourra-t-il une nouvelle fois sauver la planète finance et la planète tout court ? - préparant le terrain à l'annonce d'un accord général où chacun trouve des motifs de satisfaction.

Mais comme Aragon et Jean Ferrat, nous croyons que tout équilibre vient du balancier. Or aujourd'hui, le balancier repart dans l'autre sens : et si les G20 n'avaient servi à rien ? Et si nous étions en juin au même point qu'à l'automne 2008, mêmes incertitudes sur la capacité de résistance de nos banques, mêmes angoisses sur le tarissement du financement de nos économies et sentiment que la finance n'a en rien perdu de son opacité, de sa volatilité et de sa voracité. A la seule différence que les marchés seraient plus encore qu'hier instrumentalisés par des algorithmes qui arbitrent à la place des hommes et que les Etats n'ont plus les réserves suffisantes pour se porter au secours de leurs banques.

Je crois que le G20 ne mérite pas des appréciations aussi tranchées, dans un sens ou dans l'autre. Surtout, il y a un contresens sur ce qu'est le G20. Ce n'est pas l'équivalent en matière économique du Conseil de sécurité des Nations unies. Ses décisions n'ont pas force exécutoire. En revanche, c'est le cadre irremplaçable d'échange et de coordination entre les plus grandes économies de la planète.

De la succession des crises que nous traversons émerge un nouvel ordre. L'ancien monde finit et ne reviendra pas. Le bouleversement des équilibres économiques mondiaux, le déplacement du centre de gravité du globe appellent une autre forme de gouvernance économique que celle que nous avions jusqu'ici. Le G20 est la seule réponse possible. C'est le lieu légitime pour organiser une sortie de crise coordonnée et décider des grands principes d'une meilleure régulation de l'activité financière. Dans un monde globalisé, mais aussi régionalisé, il est normal que ses recommandations restent de portée générale compte tenu de la diversité de nos modèles économiques, et que chaque bloc les décline ensuite localement. Le G20 est aussi une chance pour l'Europe, si elle parvient à s'organiser pour peser suffisamment dans les débats en évitant ainsi un G20 sino-américain.

Si l'on s'en tient à cette acception du rôle du G20, non seulement il n'a pas démérité, mais encore peut-on porter à son crédit, dans le domaine qui me concerne, des impulsions décisives sur de nombreux sujets. Qu'on en juge.

Il fallait réguler les entités qui ne l'étaient pas, tels les agences de notation ou les fonds spéculatifs. C'est en cours de mise en oeuvre, avec des modalités différentes en Europe et aux Etats-Unis. Il fallait nous armer pour mieux détecter les risques, faire mieux circuler l'information, et coordonner au maximum les politiques de régulation : la mise en place de différents étages de supervision macroprudentielle, en cours aux Etats-Unis, en Europe, en France même, y répond. Il fallait renforcer la solidité des acteurs, ce que le G20 a également décidé au travers d'un ensemble de mesures telles que la révision des règles de Bâle II (règles bancaires prudentielles) pour assurer une meilleure adéquation entre le capital et le risque des banques ou les obliger à constituer, de façon contra-cyclique, des provisions élevées prélevées sur leurs bénéfices au cours des périodes de conjoncture favorable.

Reste à s'entendre sur la date à laquelle ce Bâle III entrera en vigueur et, surtout, à veiller à son application universelle. Reste aussi à veiller à une bonne articulation de ces nouvelles règles avec la proposition européenne de taxation des bilans des banques.

Je crois également que l'on n'aurait pas pu progresser aussi vite, tant aux Etats-Unis qu'en Europe, dans nos réflexions sur la standardisation, la compensation et l'enregistrement du plus grand nombre possible de dérivés de crédit si le G20 n'avait pas fixé le cap. Mais si l'on veut que demain le G20 ne soit pas perçu, à tort, comme un simple lieu de déclamation mais comme un endroit où s'organise plus efficacement encore la régulation, il devra évoluer dans trois directions.

D'abord, le G20 doit éviter le péché d'orgueil. Sa crédibilité sera minée s'il affiche des plans d'action trop ambitieux. Il vaut mieux pour le G20 adopter des objectifs réalistes, mesurables et auxquels les pays membres se tiennent effectivement. Il doit être clair sur les délais nécessairement longs entre l'adoption des principes et leur transcription en droit, car les marchés, pragmatiques, font très bien la part des choses entre engagements crédibles et ce qui relève de l'incantation.

Il doit enfin éviter de se disperser sur un trop grand nombre de sujets. Sa valeur ajoutée, que personne ne lui conteste, c'est de se concentrer sur les perspectives macroéconomiques post-crise et la définition d'un cadre de régulation financière mondial. Ensuite, le G20 doit être une institution à l'autorité plus établie. S'il va de soi que chaque pays doit garder la possibilité de mettre en musique ses préconisations en tenant compte de ses spécificités, il faudrait en revanche donner un caractère plus contraignant aux décisions du G20. Faute de quoi, la recherche de la convergence de la norme, qui fait l'unanimité sur le papier, restera un voeu pieux.

Les négociations sur les normes comptables en sont l'illustration, tout comme la façon dont chacun a interprété les principes adoptés sur l'encadrement des bonus. Grosso modo, les Européens ont été les bons élèves et ont pris des mesures coercitives, les Américains ont préféré s'en tenir à une approche volontaire, tandis que, pour les grandes économies asiatiques, il s'agissait tout simplement d'un non-sujet. Les distorsions de concurrence qui en résultent pénaliseront les plus vertueux dans nos économies ouvertes.

Enfin, les pays membres du G20 devront aborder les échanges dans un esprit plus constructif s'ils veulent surmonter leurs divergences aujourd'hui trop accusées, en particulier dans le domaine macroéconomique, afin d'éviter l'adoption de conclusions trop a minima : on le voit dans la querelle sur les taux de change et dans les approches radicalement différentes des sorties de crise. En particulier, il est de l'intérêt commun de tous les pays qui siègent au G20 de réconcilier leur approche sur trois sujets essentiels pour l'ordre économique mondial : l'orientation d'une épargne de court terme vers le financement d'une croissance plus durable à long terme, une nouvelle organisation de nos marchés pour financer de façon optimale la croissance, et la résorption des déséquilibres publics et privés pour une reprise économique mieux répartie.

Ces trois conditions remplies, le G20 sera l'enceinte qui pèsera le plus dans la gouvernance économique et financière mondiale.

Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers, AMF.