Encore un milliard d’affamés!

«S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche.»

Jamais depuis cette boutade cynique attribuée à Marie-Antoinette, le monde politique n’a été aussi indifférent au problème de la faim dans le monde. Il y a quelques semaines, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) annonçait fièrement que le nombre des affamés est passé sous la barre du milliard. Bonne nouvelle! C’est la première réduction en 15 ans.

Mais il n’y a pas de quoi pavoiser. Le seul point positif, c’est que pour une fois la situation ne s’est pas détériorée.

Les politiciens aiment faire des promesses. Comme me l’a confié un vieil ami politicien russe: «Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire des promesses. Nous promettons de construire des ponts, même là où il n’y a pas de rivière».

Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) sont sûrement les plus grands engagements que le monde ait jamais pris. Cette fois… il y a une rivière!

Quand les OMD ont été adoptés au tournant du siècle, on comptait 830 millions d’affamés. Même avec la réduction clamée haut et fort au sommet de New York sur les OMD qui ont permis de dire que des progrès avaient été accomplis, ils sont toujours 925 millions à se coucher le soir le ventre vide. C’est ça qu’on appelle «du progrès»?

Lorsque j’étais petite fille, Henry Kissinger, en route pour Rome, avait fait le détour par Amman pour rencontrer mon père, le roi Hussein de Jordanie. Le monde connaissait alors une importante crise alimentaire et Kissinger avait promis à l’époque que la faim serait éradiquée de la planète en moins de dix ans – une autre promesse! Mais il avait au moins le mérite de voir grand. Les OMD ne visent qu’à réduire les chiffres de moitié!

Malheureusement, lorsque la crise s’est calmée au milieu des années 70, les pays donateurs et les banques de développement ont réduit de plus de 70% leurs contributions au développement agricole.

Peut-être que ces mesures semblaient raisonnables à l’époque – à condition de ne pas être de ceux qui avaient faim! – mais c’était une grave erreur!

Le développement agricole n’a jamais été très populaire auprès des économistes et des politiciens pour qui la construction d’aéroports, de barrages et de grandes industries avaient la faveur. D’après leur analyse, la croissance économique et l’emploi devaient régler le problème de la faim.

Or le nombre des affamés s’est mis à augmenter au milieu des années 90 au rythme de quatre millions de plus par année, selon la FAO et le PAM (Programme alimentaire mondial des Nations unies). Mais personne n’a vraiment pris l’ampleur du drame avant la crise alimentaire de 2007/2008 lorsque les prix se sont mis à grimper dramatiquement et le nombre des affamés est passé au-dessus de la barre du milliard.

Qui sont ces affamés? Essentiellement des ruraux qui vivent en dehors des économies de marché qui ont poussé comme des champignons ces dix dernières années.

Quel visage a la faim? Celui d’une femme ou d’une personne au teint basané. La faim est sexiste et raciste. Une petite Zambienne de 8 ans malade et anémique n’arrive pas à capter l’attention. C’est comme si elle ne faisait pas partie de notre monde, alors que c’est complètement faux. C’est aussi notre enfant et nous avons tous à gagner à nous occuper de son sort. […] Les plus cyniques face à la souffrance devraient au moins réaliser la plus-value économique, dont nous pouvons tous profiter, que représenterait l’éradication de la faim!

Que peut-on faire? Investir dans le développement agricole.

Avec un budget de 400 millions de dollars, l’Alliance pour la révolution verte (AGRA) de l’ex-secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, est la plus importante initiative du genre en Afrique. L’administration du président Obama a augmenté son aide au développement agricole à un milliard de dollars et la Banque mondiale, reconnaissant ses erreurs passées, a doublé son portefeuille de prêts à l’agriculture. Depuis quelque temps, les pays arabes se penchent sur un octroi de 65 milliards de dollars pour augmenter la production agricole dans un monde où l’eau se fait rare et l’importation de nourriture augmente.

Certains pays africains font également des efforts. Le Malawi, par exemple, a été longtemps un pays souffrant de graves pénuries alimentaires. Or, grâce à une politique de subsides aux fertilisants, le pays enregistre des surplus.

Malheureusement, selon le principe de «faites ce que je dis, mais pas ce que je fais», les principaux pays donateurs s’érigent contre les subsides à l’agriculture pour les fermiers africains – ignorant que les subsides aux fermiers de l’Union européenne, des Etats-Unis et du Japon représentent plus de 100 milliards de dollars. […]

Ce qui manque ce sont des politiciens qui – en dehors de la rhétorique – restent à l’écoute et mettent le problème de la faim en tête des priorités de l’aide au développement. Et surtout qu’ils tiennent, une fois pour toutes, leurs promesses. Sur les 20 milliards de dollars d’aide au développement promis par le G8 en 2008, la FAO nous dit que moins de 500 millions de dollars ont été versés à ce jour…

Haya Bint Al Hussein de Jordanie, messagère de la Paix pour les Nations Unies.