Énergie verte et formation, moteurs de la croissance

La croissance horlogère n’a pas été essentiellement portée par l’extraction et la consommation de métaux, mais par une amélioration sensible de la formation et des compétences des travailleurs. © Sandro Campardo/Keystone
La croissance horlogère n’a pas été essentiellement portée par l’extraction et la consommation de métaux, mais par une amélioration sensible de la formation et des compétences des travailleurs. © Sandro Campardo/Keystone

Une croissance économique mal maîtrisée peut évidemment avoir des effets néfastes sur l’environnement. Toutefois, la question fondamentale n’est pas tellement «croissance ou décroissance», mais plutôt «quelle croissance». L’histoire récente montre que la croissance peut être qualitative et respectueuse de l’environnement. Les deux Prix Nobel d’économie 2018, les Américains Paul Romer et William Nordhaus (voir Le Temps du 9 octobre), ont démontré qu’il était possible de conjuguer croissance durable à long terme et bien-être de la population, et que les idées – l’innovation – peuvent être utilisées pour la croissance économique comme un substitut inépuisable aux ressources naturelles, qui elles sont limitées. Les deux exemples suivants confirment ce point de vue.

L’exemple de l’horlogerie

Ces dernières années, le gouvernement allemand a d’abord misé sur l’énergie verte pour revitaliser son secteur manufacturier. Il a ainsi créé 400 000 emplois et 30% de toute l’énergie consommée dans le pays provient désormais des énergies renouvelables. Certes, la transition énergétique n’est pas achevée, car le pays dépend encore fortement du charbon. «Mais si les Etats-Unis avaient suivi l’exemple de l’Allemagne, note Naomi Klein, ils seraient aujourd’hui si avancés sur la voie d’une économie verte que Trump n’aurait pas pu revenir en arrière» (Dire non ne suffit plus, Actes Sud, 2017). Avant la décision de Donald Trump de se retirer de l’Accord de Paris, on estimait que la mise en œuvre des recommandations de ce document permettrait de créer 24 millions d’emplois dans le monde – dont près de 18 000 en Suisse – dans les énergies renouvelables, les programmes d’efficacité énergétique et les transports propres.

L’exemple de l’horlogerie est tout aussi pertinent. Les exportations horlogères suisses ont bondi de 8,4 milliards de francs en 1998 à 19,9 milliards en 2017 (avec une pointe à 22,2 milliards en 2014). Durant le même laps de temps, le nombre de montres et de mouvements produits est passé de 31,9 à 24,2 millions, alors que ce sont les montres haut de gamme (3000 francs et plus) qui ont connu la plus forte progression. Durant une période un peu plus longue, le nombre des travailleurs qualifiés a bondi d’un tiers à deux tiers du personnel de l’horlogerie. Ce qu’il faut en déduire, c’est que, pendant ces vingt années, la croissance horlogère n’a pas été essentiellement portée par l’extraction et la consommation de métaux, mais par une amélioration sensible de la formation et des compétences des travailleurs. Ce qui montre – cela varie bien sûr selon les produits et les services – qu’une partie non négligeable de la croissance est de nature immatérielle.

Propositions des syndicats

Suite à la crise du milieu des années septante, qui avait vu les effectifs de la branche fondre comme neige au soleil pour passer de 90 000 à moins de 30 000 employés en 1987 (contre 55 000 en 2017), les employeurs n’avaient d’ailleurs pas d’autre choix que de mener une politique offensive en matière de formation. Mais les syndicats FTMH puis Unia ont aussi apporté leur pierre à cet édifice:

• en faisant inscrire dans la convention collective de travail (CCT) de l’horlogerie une déclaration programmatique selon laquelle les partenaires sociaux encouragent les entreprises à développer la formation initiale, la formation continue et la polyvalence de leurs collaborateurs;

• en obtenant la création d’un congé payé de formation continue de trois jours par année, un tel congé n’existant pas sur le plan légal;

• en organisant eux-mêmes des cours de formation continue portant sur les diverses activités de l’horlogerie.

Ces exemples confirment que le débat doit surtout porter sur le contenu de la croissance, en s’inspirant des propositions du sociologue franco-brésilien Michael Löwy. Plutôt que d’opposer croissance et décroissance de façon absolue, celui-ci distingue trois types d’activités:

• celles qu’il faut détruire: l’armement, le nucléaire;

• celles qu’il convient de modérer: l’automobile, par exemple;

• enfin, celles qu’il faut fortement développer: l’enseignement, la formation, les énergies renouvelables, les technologies de la communication, les transports et les services publics.

Croissance qualitative

Le contenu de la croissance est donc primordial, mais l’effet de celle-ci sur l’emploi est évident. Au milieu des années 1970, la Suisse a connu l’une des crises les plus graves de son histoire, qui avait surtout frappé l’horlogerie et l’industrie des machines. Elle s’était traduite par des dizaines de milliers de licenciements et par le renvoi de 250 000 travailleurs immigrés dans leur pays. Quarante ans plus tôt, une autre période de croissance négative avait eu des effets encore plus désastreux. Selon Johann Boillat (Les véritables maîtres du temps. Le cartel horloger suisse (1919-1941), Alphil, 2013), les exportations horlogères ont reculé, de 1929 à 1933, de 307 à 96 millions par année. Dans le même temps, le taux de chômage dans l’horlogerie grimpait de 0,4% à 31,7%. A l’époque, les travailleurs concernés auraient sans doute préféré que l’on parle de croissance qualitative plutôt que de décroissance.

Jean-Claude Rennwald, militant socialiste et syndical.

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