Engagement militaire en Libye entre imminence et imprévisibilité

Les efforts en cours depuis plusieurs semaines pour enrayer la crise libyenne et stopper la répression du régime de Kadhafi contre son peuple insurgé ont pris un tour nouveau avec le vote, jeudi 17 mars, d'une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies autorisant une intervention militaire extérieure. Après avoir tergiversé, les Etats-Unis se sont donc ralliés à la solution prônée depuis plusieurs jours par la France avec le soutien du Royaume-Uni. L'adoption de cette résolution, à une voix de majorité (dix voix sur quinze), n'aurait pas été possible non plus sans l'abstention constructive de Moscou et de Pékin qui n'ont pas fait usage de leur veto à l'encontre de la proposition initiée par Paris.

Ce succès diplomatique resterait pourtant sans lendemain si le recours à la force, en raison de son caractère tardif ou inadapté, manquait son but : protéger les populations civiles. Or, on peut craindre que les délais de mise en oeuvre et les modes opératoires retenus pour l'application de frappes aériennes ne parviennent pas à empêcher les troupes de Kadhafi de gagner encore du terrain dans les jours qui viennent, ni de perpétrer de nouveaux massacres ou d'imposer un blocus à la ville de Benghazi.

Personne ne peut prédire en effet la réaction de Tripoli : la temporisation face à un rapport de force qui lui est désormais très défavorable ou une fuite en avant dans la politique du pire pour y piéger les intervenants. C'est pourquoi même si, à ce stade, la gamme de scénarii en cours de préparation va de l'imposition d'une zone aérienne à des frappes ciblées contre des objectifs militaires, en passant par le simple brouillage des stations radars et des systèmes de communications libyens, il ne faudrait pas trop sous estimer la capacité de résistance de Kadhafi et de ses troupes. Devant la fluidité de la situation, il est raisonnable de planifier toutes les hypothèses, y compris celle de devoir accéder par terre ou par mer aux populations assiégées pour leur porter de l'aide humanitaire.

Une résolution qui laisse des marges d'actions militaires plus importantes qu'on ne le croit
La résolution 1973 des Nations Unies autorise sans restriction des frappes aériennes air/air contre des aéronefs enfreignant l'interdiction de survol ou air/sol contre des objectifs militaires. Bien que non explicitement envisagée, elle n'interdit pas des opérations terrestres temporaires et ponctuelles tant qu'elles ne débouchent pas sur une occupation, même partielle, du territoire libyen. Effectivement, le § 4 de la résolution "autorise les Etats membres (…) à prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour protéger les civils et les zones peuplées par des civils sous la menace d'attaques par (les forces de Kadhafi), y compris Benghazi ; tout en excluant une force étrangère d'occupation sous quelque que forme que ce soit dans n'importe quelle partie du territoire libyen." Le succès de l'opération en Libye ne se résume pas à la quelques frappes ciblées.

Les principales craintes de l'intervention militaire portent sur la possibilité de dégâts collatéraux inhérents à ce type d'opération et surtout de dommages délibérément provoqués par Kadhafi qui pourrait ne pas hésiter à exposer sa population rebelle (boucliers humains) et, par rétorsion, tenter des actions terroristes en s'en prenant au trafic maritime ou aérien civil, comme il l'a fait dans le passé.

Le succès de l'intervention militaire en Libye n'est donc pas réductible aux premières opérations militaires rapidement mises en oeuvre. Cette intervention, trop tardive pour être dissuasive ou pleinement efficace, n'est pas assurée d'être brève en dépit du déséquilibre des forces en présence. Les véritables enjeux sont périphériques au succès des frappes aériennes. Ils résident dans le sort des populations otages des combats, dans la stratégie de nuisance de Kadhafi, dans la déstabilisation de son régime sous l'effet de la coercition militaire et, enfin, dans l'émergence ou non d'une relève institutionnelle crédible.

Louis Gautier (membre du conseil de surveillance du Monde), Fondation Jean-Jaurès, note Orion, 19 mars 2011.


Pour lire la note intégrale, rendez-vous sur le site de la Fondation Jean-Jaurès

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