La fin de l’année 2017 a vu s’effondrer le «califat» de l’Etat islamique (EI), au terme d’offensives antidjihadistes d’envergure en Syrie et en Irak. Mais si l’EI a perdu presque tout contrôle territorial en Mésopotamie, ses adhérents terroristes restent à l’affût à travers le monde, et en Europe en particulier.
A la lumière de ces développements, les analystes tentent d’améliorer leur compréhension du groupe pour en finir avec lui. Pour certains d’entre eux, la source d’inspiration de l’organisation se trouve en Arabie saoudite. Néanmoins, avec un regard plus précis, nous pouvons affirmer que l’Etat islamique est engagé dans une guerre théologique avec l’établissement religieux saoudien, afin de déterminer lequel des deux épouse avec le plus de pureté les principes de l’islam sunnite.
En tant que gardienne des deux lieux saints les plus sacrés de l’islam, La Mecque et Médine, l’Arabie saoudite dispose de la légitimité religieuse la plus importante dans le monde islamique. Pour combattre le terrorisme, une coalition de 34 états musulmans s’est formée sous l’égide du royaume Saoudien en décembre 2015. Cette grande coalition confirme que le Royaume n’est pas la source de l’Etat islamique, mais plutôt son principal opposant et l’unique nation qui peut légitimement et théologiquement le vaincre.
Aux origines du salafisme
Beaucoup de gens pensent à tort que la source de l’Etat islamique est l’Arabie saoudite parce que les deux pratiquent une version de l’islam appelé «salafisme» (connu à tort en Occident comme le wahabisme). Le salafisme prend sa racine du mot salaf, «ancêtre», et fait référence à la façon dont les croyants pratiquaient l’islam durant les trois premières générations après Mahomet.
Mais le salafisme pratiqué par l’Etat islamique n’a aucune base théologique. Car ce groupe est, de fait, la continuité d’une secte cruelle, connue sous le nom de Kharijites, ou ceux qui sont sortis de la communauté musulmane (Oumma), durant le règne du quatrième calife Ali (qui fut assassiné par les Kharijites).
Les Kharijites, tout comme l’Etat islamique, croient que quiconque n’est pas d’accord avec eux doit être exécuté en tant qu’infidèle (takfir). Ils rationalisent les tueries en masse, contre les civils, incluant les femmes et les enfants (isti’rad) et pratiquent une forme d’inquisition poussée afin de tester la foi de leurs opposants (imtihan).
Un seul gardien
L’adhésion à l’idéologie kharijite se double d’un acte de désobéissance qui anéantit effectivement leurs prétentions au salafisme.
Dans les écritures originales et les pratiques de l’islam, la plus haute autorité est le «gardien» (wali al amr) de l’oumma. Tous les pouvoirs, religieux et militaires sont concentrés sous cette autorité, système bien incarné par l’Arabie saoudite dans le monde moderne. Son monarque jure en premier lieu de promouvoir l’islam et de s’occuper du bien-être du peuple. En retour, le peuple fait allégeance (ta’ah) aux piliers fondamentaux de l’islam et promet de le suivre. Si le premier dévie de l’islam, le second est obligé de le remplacer. La bayah (serment d’allégeance) commune de l’oumma au souverain est cruciale dans le salafisme et quiconque la brise – comme l’Etat Islamique l’a fait – ne pourra jamais être considéré comme un vrai salafi.
Etant donné l’importance du wali al amr dans l’islam Sunnite, l’Etat islamique et l’Arabie saoudite sont pris dans l’engrenage d’une lutte théologique dont un seul peut sortir vainqueur.
Le califat en question
Le deuxième contentieux entre l’Arabie saoudite et l’Etat islamique est leur opposition totale concernant le califat, un empire islamique dirigé par un leader suprême. Sachant que l’Arabie saoudite est l’épicentre de l’islam, la route de l’Etat islamique doit impérativement passer par le royaume et son peuple.
L’Etat islamique a commis une série d’attaques terroristes dans le royaume ces dernières années. En réponse à ces attaques, les autorités saoudiennes ont mis le groupe sur sa liste de commanditaires du terrorisme, ont également déclaré que quiconque appartient ou aide l’Etat islamique est considéré comme criminel, passible de la peine de mort, et ont arrêté d’innombrables soutiens opérationnels et financiers de l’Etat islamique.
Lorsque l’Etat islamique est apparu pour la première fois en Syrie en 2011, le roi saoudien Abdallah a essayé de galvaniser le monde pour aider l’opposition syrienne modérée. Mais le monde a fait la sourde oreille. Aujourd’hui l’Etat islamique est une menace pour le Moyen-Orient ainsi que pour le monde entier. Seule une coalition menée par l’Arabie saoudite peut véritablement vaincre l’Etat islamique, en le délégitimant aux yeux du plus grand nombre de musulmans.
Nawaf Obaid est enseignant-chercheur (défense, renseignement) au Belfer Center de la Kennedy school of government de l’Université d’Harvard.