Entre pays, régions et paysans, répartir la production équitablement

L'Union européenne a décidé de modifier en profondeur sa politique agricole en 2013. Les décisions qui seront prises auront un impact important pour l'emploi, les zones rurales, l'environnement, ainsi que pour d'autres secteurs économiques comme le tourisme.

Le tournant pris en 1992 a été funeste. Anticipant, pour obtenir des concessions, les conclusions de l'accord de Marrakech, la Commission européenne a transformé l'agriculture en monnaie d'échange pour l'industrie européenne, mais surtout pour les services comme les banques, les transports, les télécommunications, les assurances, la distribution ou le tourisme de masse. Cette décision a engendré la perte de centaines de milliers d'emplois agricoles et a provoqué une suite de crises sociales graves culminant en 2009.

Par ailleurs, elle n'a servi à rien puisque, depuis 2001, la machine de l'OMC est grippée. L'échec de la conférence ministérielle de Genève, début décembre 2009, confirme le non-sens de cette orientation libérale, vivement remise en cause par nombre de pays du G77.

Le libéralisme et l'ouverture des frontières imposés par les Etats-Unis, l'Europe et les pays émergents à travers l'Organisation mondiale du commerce se soldent par un constat d'échec. La crise globale, issue de la sphère financière, fin 2008, s'étend maintenant à l'ensemble des secteurs de l'économie. L'agriculture n'échappe pas à cette tourmente. L'effondrement du prix du lait sur le marché européen a engendré des milliers de faillites de paysans, particulièrement dans les grands Etats membres de l'est de l'Union comme la Roumanie, la Bulgarie et la Pologne.

La PAC est devenue folle. Pour autant, faut-il se débarrasser de la seule véritable politique européenne ? Certes non, et, plus que jamais, l'Europe doit conserver et renforcer cette volonté de construire un avenir agricole commun à tous ses états membres et à toutes ses régions. L'objectif central de cette réforme doit rester de nourrir nos concitoyens avec des produits de qualité sur le long terme. Peut-on ignorer que, pour plus de 20 millions d'Européens, la question de savoir si l'on va manger à sa faim reste une réalité. Dans un contexte de chômage massif, la paysannerie doit cesser d'être considérée comme le réservoir de main-d'oeuvre, principalement à l'Est, pour les autres secteurs qui, en réalité, n'ont plus grand-chose à offrir.

Le secteur agricole reste pourvoyeur d'emplois stables dans de très nombreuses régions de notre continent. Les fonds structurels, les soutiens directs convenablement orientés, le développement rural doivent être mobilisés de manière à consolider les emplois agricoles et à soutenir les agriculteurs vers des techniques alternatives modernes qui respectent les sols, la biodiversité, les savoirs et qui participent activement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Une véritable rupture est nécessaire avec la logique productiviste des fondateurs de la PAC de 1962. Si l'objectif central reste le même - nourrir et garantir l'accès à l'alimentation des Européens -, les moyens utilisés, critiquables mais compréhensibles dans le contexte de l'époque, comme élevage hors-sol, chimie, réification des animaux et des plantes, causent maintenant plus de dégâts qu'ils n'en suppriment. La page du productivisme doit être tournée.

Nous avons jusqu'à 2013 pour convaincre que la PAC doit se construire autour de la souveraineté alimentaire. La relocalisation de l'agriculture devient une nécessité. Pour y parvenir, l'Europe doit veiller à un équilibre interne de l'offre et de la demande. De nouvelles organisations communes de marché sont nécessaires pour renforcer celles qui existent à l'heure actuelle. Elles devront garantir un prix plancher couvrant les coûts de production en offrant une rémunération correcte aux producteurs.

La production devra être correctement maîtrisée et répartie entre les pays de l'Union, entre les régions et entre les paysans. Aujourd'hui, certains pays membres de l'est de l'Europe sont contraints d'importer de grandes quantités alimentaires pour couvrir leurs besoins. Certaines régions devront, par conséquent, désintensifier leurs productions hors-sol artificiellement dopées.

L'urgence climatique concerne également fortement l'agriculture, responsable de près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre. La séparation entre élevages et cultures a induit une utilisation irresponsable d'engrais chimiques dérivés d'énergies fossiles comme le pétrole qui produisent un des gaz les plus nocifs, le dioxyde d'azote.

L'agriculture est devenue dans sa forme industrielle hautement dépendante des énergies fossiles. Certaines civilisations ont disparu car elles n'ont pas réussi à s'adapter aux dégradations environnementales engendrées par leur propre production agricole. Fragilisées, elles ont été emportées dans bien des cas par un accident climatique.

La connaissance scientifique actuelle offre à nos sociétés le laps de temps nécessaire pour s'adapter et pour trouver des solutions acceptables et acceptées. L'échec de la conférence de Copenhague montre une complexité des enjeux planétaires. Des solutions, des innovations existent. Bien que marginales, elles sont probantes et doivent être vulgarisées et adaptées localement. Cela passe notamment par une meilleure articulation entre la recherche agronomique et les connaissances, les pratiques et les savoirs des paysans.

Pour relever l'ensemble de ces défis et redessiner une PAC cohérente, nous devons impliquer dans la réflexion l'ensemble des citoyens et non pas uniquement les acteurs économiques. L'organisation d'une rencontre européenne de type agora citoyenne sur l'avenir de la PAC et de l'alimentation est donc nécessaire et urgente pour dépasser les visions trop sectorielles.

José Bové, député européen, Europe Ecologie.