Espagne : « Le parti Vox se positionne pour les européennes »

Tandis que les élections espagnoles du dimanche 28 avril confortent la position acquise par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), le Parti populaire (PP) connaît, de son côté, une chute vertigineuse de ses soutiens électoraux et de ses résultats : il se situe à présent au-dessous du niveau qui était le sien dans les années 1980. Mais le plus neuf, dans ces élections, est la consolidation en Espagne du modèle multipartite qui s’organise autour du clivage territorial opposant les mouvements centrifuges et centripètes.

Autrement dit, avec ces élections qui ont abouti à des résultats probants pour des partis indépendantistes catalans – Gauche républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC) et Ensemble pour la Catalogne (Junts per Catalunya, JxCat) – et désastreux pour le Parti populaire en Catalogne – un seul député – et au Pays basque – aucun représentant –, la tension territoriale va redevenir centrale dans la vie politique espagnole des prochains mois.

Enfin, comme prévu par les sondages, la « normalisation » de la politique espagnole est maintenant effective : sur le modèle des autres démocraties contemporaines, l’Espagne assiste à l’ascension de l’extrême droite. Les résultats de Vox, avec 24 sièges et 10,3 % des suffrages, situent ce parti dans une position jamais vue jusqu’ici. Elle reste néanmoins très inférieure à l’envolée que lui prédisaient certains. C’est donc, pour Vox, une entrée au Parlement qui, sans satisfaire ses attentes, lui permet de se placer en position privilégiée pour les prochaines élections locales et européennes du 26 mai.

L’accession de Vox au Parlement andalou [en décembre 2018] a eu pour conséquence l’irruption de l’extrême droite traditionnelle dans le paysage politique espagnol, en conformité avec le succès international de ces options néofascistes, d’extrême droite ou de droite radicale. Rappelons un précédent : entre 1979 et 1982, l’extrême droite fut très faiblement représentée à la Chambre des députés avec un siège correspondant à Fuerza Nueva, un parti aux connotations fascistes dont le chef, Blas Piñar, se réclamait du franquisme le plus rétrograde et extrémiste. C’est la seule courte période, en quarante-deux ans de démocratie espagnole, où l’extrême droite (fasciste) a été représentée dans les institutions démocratiques.

Une enquête andalouse de fin 2018

En attendant d’en savoir plus grâce aux sondages d’opinion postélectoraux, l’enquête andalouse du Centre de recherches sociologiques (CIS), réalisée après les élections du 2 décembre 2018, nous montrait que seuls 5,7 % des Andalous reconnaissaient avoir voté pour Vox. Ce qui veut dire que, presque pour moitié, ses électeurs dissimulaient leur choix. Ceux qui ont reconnu l’avoir fait sont majoritairement sur des positions idéologiques d’extrême droite.

Par tranches d’âge, on découvre, non sans surprise, que Vox recueille autant de voix parmi les plus jeunes (de 18 à 24 ans) que dans la tranche des 35-54 ans, son principal vivier électoral. Considéré par genres, le vote est résolument masculin : près des deux tiers sont des hommes. Les électeurs des grandes villes sont plus acquis à Vox que ceux du monde rural ; plus précisément, les soutiens fondamentaux de ce parti sont les moyennes ou grandes villes de plus de 50 000 habitants.

Ainsi, ce sont les centres urbains qui dépendent fortement de l’immigration pour le travail agricole intensif – El Ejido et Nijar dans la province d’Almeria, ainsi que certains foyers ruraux faisant appel à une immigration africaine pour l’agriculture intensive comme Huelva – qui lui rapportent un grand nombre de voix.

Selon un autre sondage publié dans le quotidien El Pais le 9 décembre 2018, l’immigration (41,6 %) et l’unité de l’Espagne (33,7 %) sont les deux thèmes qui ont poussé les électeurs à voter pour Vox. Tout autant que la volonté de déloger du pouvoir le PSOE. Par ailleurs, cette enquête d’opinion faisait ressortir le caractère proprement idéologique du vote en faveur de cette formation, car seuls 2,3 % de ses électeurs se disaient sensibles au leadership, alors que 97,3 % avouaient ignorer les personnes pour lesquelles ils votaient sur la liste de Vox.

C’est là un élément important pour le différencier des partis fascistes du siècle passé où la présence d’une personnalité « charismatique » ou « exceptionnelle » était déterminante ; dans le cas andalou, cette composante personnelle n’a joué aucun rôle.

Par ailleurs et sans clore le débat autour de la position idéologique de Vox (« droite extrémiste », « radicale », « ultra », « populiste de droite »), il faudrait assurément signaler que, outre les questions d’identité nationale et la vision xénophobe de l’immigration, ce parti, par ses déclarations autant que par le modèle de société qu’il promeut, se nourrit de thèses racistes et sexistes. Ce qui l’a conduit paradoxalement à occuper une position importante au sein du monde urbain comme rural et à recueillir l’écoute et les suffrages aussi bien des jeunes que des personnes d’âge moyen.

En définitive, avec ces élections générales, Vox a réussi à placer sur la rampe de lancement son mouvement. Ce parti y apparaît déjà, idéologiquement et politiquement, comme la conséquence la plus extrême, dans une position symétrique mais radicalement opposée, des mouvements et partis séparatistes et indépendantistes.

Juan Montabes est professeur de science politique à l’université de Grenade (traduction Albert Bensoussan).

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