Est-ce une bonne idée de défendre l'écologie par voie judiciaire?

Imposer les idées écologiques via les tribunaux? Terrible aveu de faiblesse!. Par Philippe Nantermod, conseiller national (PLR/VS).

Pour paraphraser Clausewitz, la justice est-elle devenue la continuation de la politique par d’autres moyens? C’est semble-t-il l’approche des Verts qui, face à leur résultat calamiteux des élections d’octobre, ont choisi la voie de l’action judiciaire pour faire appliquer leur programme contre un Parlement mal choisi, par un peuple qui ne leur convient pas.

Les Verts désavoués veulent-ils dissoudre le peuple?

Selon ces avocats autoproclamés de la nature, la timidité de l’action écologique de la Confédération contreviendrait à ses engagements internationaux, en particulier ceux découlant de la Convention européenne des droits de l’Homme. Sans vouloir entrer dans les détails juridiques, précisons que c’est une jurisprudence qui garantirait un «droit à un environnement sain». Aucune disposition expresse de la CEDH ne traite d’environnement et ce n’est que dans le cadre anthropocentriste de la protection de la sphère privée que ce droit fut reconnu par la jurisprudence de la Cour.

L’Assemblée fédérale si mal composée par un peuple si mal intentionné, ayant par-dessus le marché l’outrecuidance de ne pas appliquer leur programme, les Verts ont donc décidé d’actionner la Suisse en justice. Les perdants du 18 octobre peuvent adopter la plus amusante des tirades de Brecht sur les dérives politiques: lorsque le peuple trahit la confiance du régime, il serait peut-être «plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre». L’insupportable prétention des Verts de comprendre mieux que tous les enjeux de notre monde n’a d’égal que le désamour que leur porte l’électeur. Or, dans une démocratie, c’est pourtant le seul étalon qui vaille pour trancher des priorités politiques, pour le malheur du parti écologiste.

Triste confusion des rôles

La séparation des pouvoirs implique une juste distribution des rôles entre le Parlement, le gouvernement et le pouvoir judiciaire. Les grands engagements de principe que prend le souverain n’autorisent pas les tribunaux à se substituer au législateur qui est le seul compétent pour choisir ses priorités politiques. Dans le cas d’espèce, il n’est pas question de requérir du juge de vérifier le respect de la loi. Non, les Verts demandent au pouvoir judiciaire d’adopter tout un corpus normatif que le Parlement a sciemment refusé. Triste confusion des rôles.

Or, lorsque le juge se prend pour un politicien – et c’est ce qu’il serait s’il acceptait d’entrer en matière sur la demande farfelue des Verts – il perd non seulement son apparence de neutralité, mais aussi son impartialité. Le juge devient alors un parlementaire suppléant qui exécute une tâche qui ne lui revient pas, avec le risque de dénaturer les institutions. A quoi bon maintenir un parlement pour faire des lois s’il suffit de réclamer au juge d’appliquer directement la Constitution et les conventions internationales?

Place à l’esbroufe judiciaire

On imaginera alors que l’ensemble des lobbys iront eux aussi de leur interprétation de la CEDH, du pacte ONU-II ou des conventions OMC pour exiger la croissance économique, le salaire minimum, la fin du chômage, l’ouverture d’hôpitaux, la fermeture des prisons et la suppression des impôts. Chacun avec sa priorité politique justifiée par son principe juridique: la politique n’est plus, place à l’esbroufe judiciaire. Il ne faudra par contre plus se plaindre si, pris par ce nouvel enthousiasme pour la confusion des rôles, le Parlement se met lui aussi à adopter des normes d’une précision telle qu’elle réduit le juge à un rôle de simple exécutant, réduisant à néant cette fameuse marge d’appréciation du pouvoir judiciaire que chérissent tant les recourants du jour.

Aveu de terrible faiblesse

Association écologique habituée des tribunaux, parti politique ou groupuscule parfois à la limite de la légalité, la nébuleuse verte n’a jamais été facile à cerner tant, face à sa mission quasiment christique, la fin justifiait tous les moyens. En fin de compte, les Verts reconnaissent aujourd’hui qu’ils ne parviennent finalement pas à agir par la voie démocratique, à convaincre une majorité et à sensibiliser vraiment la population sur les thèmes pourtant importants qu’ils soulèvent. C’est un aveu de faiblesse qui illustre l’échec d’une politique guidée par l’argument d’autorité, et cela aux dépens de l’environnement.


Les Verts explorent la voie judiciaire pour préserver le climat. Par Adèle Thorens Goumaz, conseillère nationale verte vaudoise et coprésidente des verts suisses.

En juin dernier, un tribunal de première instance de La Haye a jugé, suite à la plainte de particuliers, que les objectifs climatiques insuffisants des Pays-Bas violaient les droits humains. Il a exigé du gouvernement qu’il renforce sa politique climatique. Plusieurs démarches similaires sont en cours dans d’autres pays, notamment aux Philippines. Aux Etats-Unis, sept jeunes ont attaqué le Département de l’environnement de l’Etat de Washington au nom de leur droit à vivre dans un environnement sain. Ils ont obtenu gain de cause en novembre dernier.

Et en Suisse?

En Suisse, les Verts, accompagnés de Greenpeace et de Noé21, étudient l’opportunité d’une action judiciaire. Ce n’est pas la première fois qu’ils s’aventurent sur ce terrain. Les Verts vaudois ont notamment recouru au Tribunal fédéral pour qu’une taxe poubelle respectant le principe du pollueur-payeur soit appliquée dans la région.

Aucune action judiciaire n’a cependant encore porté sur le climat en Suisse. Il s’agirait de montrer, comme pour la Hollande, que les objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés par la Suisse ainsi que leur mise en œuvre sont insuffisants pour répondre à l’objectif de maintien global du réchauffement climatique en dessous de 2 degrés. Sur le fond, cela ne fait guère de doute: le Conseil fédéral a essuyé les critiques de son propre Organe consultatif sur les changements climatiques et a lui-même admis que l’objectif fixé ne serait certainement pas suffisant. De fait, sa politique actuelle ne permet pas à la Suisse de faire sa part dans les efforts mondiaux, comme exigé par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

La voie du droit public à privilégier

En Suisse, les difficultés d’une telle action judiciaire sont surtout formelles. Notre ordre juridique protège prioritairement les intérêts des particuliers. Pour pouvoir saisir un tribunal, il faut être personnellement et particulièrement touché. Pour les grands projets d’installations, le droit de recours des associations environnementales permet certes de représenter les intérêts de l’environnement et de dénoncer les cas où nos lois ne sont pas appliquées. Mais ce dispositif n’est pas adapté aux conséquences du changement climatique.

La voie du droit public est dès lors à privilégier. Il s’agira, pour un groupe de particuliers particulièrement touchés par le réchauffement climatique, par exemple pour des raisons de santé, d’adresser leurs griefs à l’Office fédéral de l’environnement. En cas de rejet de leur requête, la justice sera saisie: d’abord le Tribunal administratif fédéral puis, si nécessaire, le Tribunal fédéral, voire la Cour européenne des droits de l’Homme. Les Verts, Greenpeace et Noé21 soutiendront ces démarches.

Le but sera de démontrer que la politique climatique conduite par l’OFEV est insuffisante au regard des principes constitutionnels de durabilité, de prévention et de précaution, ainsi qu’au regard du droit à un environnement sain consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

L'environnement est un enjeu trop sérieux pour être laissé aux seuls politiciens

Une telle démarche vient appuyer le travail parlementaire et politique. Il s’agit d’exiger la mise en œuvre de principes d’ores et déjà inscrits dans nos textes fondamentaux, qu’il s’agisse de la Constitution ou de la Convention européenne des droits de l’homme. Lorsque les pouvoirs publics rechignent à les appliquer, il peut être nécessaire de s’en remettre aux juges. On dit que la politique est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls juristes. C’est juste. Mais le respect du droit de l’environnement et, surtout, du droit de nos descendants de bénéficier d’un environnement sain, sont des enjeux trop sérieux pour être laissés aux seuls politiciens, trop souvent sensibles à la pression des lobbies et à la tyrannie du court-terme.

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