Et, pendant ce temps, Boko Haram continue ses massacres

Le monde occidental s’est ému des horribles tueries à Paris par trois djihadistes, mais en même temps d’effroyables massacres ont eu lieu au Nigeria, notamment à Baga, au bord du lac Tchad, où plusieurs centaines de personnes, voire 2000, ont été assassinées. Des villages du nord sont rasés, des personnes enlevées – les 200 lycéennes en majorité chrétiennes de Chibok n’ont jamais été libérées malgré les promesses internationales (on se souvient du mouvement «Bring Back Our Girls») –, des jeunes filles kamikazes sont utilisées comme bombes vivantes sur des lieux fréquentés (marché, station-service, institut politique de Kano). L’armée nigériane est mal équipée. 200 000 personnes auraient déjà fui le pays. Le Tchad vient de déclarer la guerre à Boko Haram, et l’armée camerounaise est aussi sur pied de guerre pour défendre ses frontières.

Le professeur Zacharias Pieri, de l’Université de Floride du Sud, aux Etats-Unis, et animateur du Global Institute on Civil Society Conflict, décrit Boko Haram ainsi: «Un mouvement local (nord du Nigeria), mais avec des connexions internationales, ayant une connotation ethnique (les Kanuri), mais avec des revendications universalistes. Paradoxalement, il est prêt, malgré les massacres et les enlèvements de masse, à assurer la sécurité et les services sociaux aux habitants du «califat», mais surtout à influencer dans un mois les élections nigérianes (prévues le 14 février 2015)».

Pour Boko Haram, qui signifie «l’éducation occidentale est un péché», et par extension «l’Occident est un péché», le gouvernement nigérian est corrompu et mécréant depuis des années. Il n’a pas assuré la sécurité, ni les services d’aide aux pauvres, d’où une grande frustration dans le nord-est, sous-développé. De plus, ce gouvernement est accusé de ne pas avoir permis de pratiquer l’islam tel que Boko Haram le souhaitait.

Petit aperçu historique pour comprendre ce contexte: avant l’arrivée des colonisateurs britanniques dans le nord (protectorat en 1886), il y avait deux empires: le Califat de Sokoto à l’ouest, et l’empire Kanem-Bornou à l’est. L’esclavage y était profondément ancré dans les mœurs. Les agissements choquants de Boko Haram comme nous les montre fébrilement son chef, Abubakar Shekau, dénotent donc une volonté de revenir au passé.

La proclamation de ce «califat» a eu lieu fin août, après celle du califat de l’Etat islamique en Syrie et en Irak, dont il s’inspire. Il part de la rive sud du lac Tchad, sa capitale étant Gwoza, et englobe les villes de Bama et Baga. L’Etat nigérian de Borno est presque entièrement entre ses mains et sa capitale, Maiduguri, est en­cerclée. En définitive, ce califat autoproclamé comprendrait 20 000 km2 (à peu près l’équivalent de la Belgique).

Les Kanuri représentent l’ethnie majoritaire de Boko Haram, également dispersés au Niger, au Cameroun et au Tchad. Il y a donc des réseaux transfrontaliers. Selon un missionnaire du Nord-Cameroun, Boko Haram bénéficie de la collaboration de certains villages camerounais (Missionary Service News du 16 janvier 2015).

De manière générale, on peut se demander si l’on n’assiste pas, aujourd’hui, à une remise en question du principe de l’intangibilité des anciennes frontières coloniales et internationales pour des raisons politico-religieuses: le Soudan récemment partagé en deux, le califat de l’Etat islamique qui émerge entre l’Irak et la Syrie; on entend aussi parler des visées ottomanes du président turc Erdogan. Et que font les Israéliens, qui prennent la terre des autres depuis 1967 et ont tué plusieurs milliers de personnes ces dernières années à Gaza (pour répondre à des tirs de roquettes)?

Même si le président nigérian, Goodluck Jonathan, s’est rendu au nord du pays, avec une escorte de 200 militaires, afin de préparer sa réélection, il semble avoir peu de chances de parvenir à ses fins. En revanche, Muhammadu Buhari, musulman conservateur du nord, ancien général et dictateur militaire de 1981 à 1985, a de grandes chances que le sud chrétien vote aussi pour lui. Il est l’un des rares politiciens du Nigeria à ne pas tomber sous le joug d’un scandale pour corruption. Beaucoup le considèrent comme le sauveur de la nation et il ne parle pas de Boko Haram à demi-mot: «Des gens sans Dieu, des ravisseurs, des assassins, des prédateurs de communautés».

Christine von Garnier, docteur en sociologue politique.

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