Et si l'Italie de Mario Monti sauvait l'Europe ?

La relation franco-allemande est aussi indispensable qu'elle est devenue insupportable. Tel est le paradoxe qui, en ce moment, tétanise la zone euro. Le poids des deux pays et leurs divergences récurrentes devraient conduire les autres Européens à apprécier les efforts de chancelière Angela Merkel et du président Nicolas Sarkozy pour rapprocher leurs vues.

Si cette corde de rappel se rompait, le coup serait fatal. Leur coopération n'a cependant pas permis d'éviter la contagion, ni de rassurer les marchés. Les autres Européens se sentent exclus de décisions qui engagent leur destin. Nous ne pouvons pas continuer sur cette voie. Mais comment sortir de l'impasse ?

Une solution pourrait venir d'Italie si - ce qui n'est pas encore sûr - le président du conseil désigné, Mario Monti, était en mesure de former un gouvernement d'unité nationale.

En raison de sa taille, l'Italie porte une responsabilité particulière. Sans un assainissement de la troisième économie de la zone euro, la monnaie unique ne serait pas viable. Des aides concevables pour des pays périphériques ne peuvent pas être étendues à un Etat qui représente 17,4 % du PIB de la zone euro, soit à peine moins que la France (19,4 %), selon les chiffres fournis par Eurostat en avril. D'où l'importance du programme drastique de réformes que les Italiens sont appelés à mettre en oeuvre.

Après les années Silvio Berlusconi, la tradition européenne de l'Italie n'est plus dans les mémoires, mais elle mérite d'être rappelée, du plan germano-italien des ministres Hans-Dietrich Genscher et Emilio Colombo au légendaire Conseil européen de Milan, où, en 1985, ce n'est pas le tandem franco-allemand mais la présidence italienne qui a aidé Jacques Delors à braver l'opposition de Margaret Thatcher pour ouvrir la voie à l'Acte unique.

Le président Giorgio Napolitano s'inscrit dans cette lignée, comme l'a rappelé son discours à Bruges à la fin du mois d'octobre. Jusqu'à Romano Prodi inclus, l'Italie a toujours joué la carte de l'Europe communautaire, éprise de solidarité, bâtie sur des institutions chargées de l'intérêt général et soucieuse de faire cohabiter sans heurts les Etats de toutes tailles. Elle était alors proche de l'Allemagne fédérale. C'est exactement l'Europe dont la France s'est toujours méfiée.

En devenant plus "gaulliste", ces dernières années, la chancelière a privé le moteur franco-allemand d'une de ses dialectiques les plus fécondes. Si elle revenait à une vision plus fédérale, comme elle a semblé l'indiquer à Leipzig (Allemagne) le 14 novembre, c'est la France qui serait isolée. Car la crise est en train d'opérer un retour de balancier. Pour reprendre la formule d'un autre grand Européen italien, Tommaso Padoa-Schioppa, elle révèle l'impuissance du Conseil européen quand, transformé en "cartel des nationalismes", il défend des intérêts nationaux définis à courte vue. Et les Européens aspirent à un débat démocratique.

C'est une crise de nature politique à laquelle, à ce jour, les Français et les Allemands, tout comme la Commission européenne, ont apporté des solutions trop techniques. Le retour actif de l'Italie dans le jeu européen ne ferait sûrement pas des miracles, mais il pourrait accélérer un changement de méthode. L'Europe est avant tout un état d'esprit. Giorgio Napolitano, ancien président de commission au Parlement européen, et Mario Monti, ancien commissaire européen, possèdent une expérience communautaire précieuse dont peu de membres du Conseil européen peuvent se prévaloir.

Enfin, le caractère non partisan du gouvernement italien - si... les partis ne le tuent pas dans l'oeuf - pourrait sans doute contribuer à décrisper certains affrontements. Dans ses nombreux articles du Corriere della Sera ou du Financial Times, Mario Monti a toujours prôné des politiques économiques équilibrées sans s'enfermer ni à droite ni à gauche : farouchement attaché à la concurrence (pour briser les rentes de situation dont souffre tant la jeunesse) et au marché (pour favoriser la croissance économique), il n'a pas hésité à proposer la mise en commun de la dette européenne (les euro-obligations) ou encore l'harmonisation fiscale.

En mai 2010, il a remis au président José Manuel Barroso un rapport sur le marché unique qui défendait les services publics comme l'émulation par le biais de la compétition. Une troisième voix respectée pourrait aider le Conseil européen à surmonter des divergences dites "franco-allemandes", par exemple à propos du rôle de la Banque centrale européenne (BCE).

Celles-ci sont en réalité des divergences de fond qui transcendent les frontières. Le niveau approprié pour en débattre est la zone euro entière, pas le huis clos germano-français, ni même l'enceinte hermétique du Conseil européen, où, pour chaque pays, seule la majorité actuelle s'exprime. Le temps est venu de débats publics sur l'avenir de l'euro, au Parlement européen et dans les Parlements nationaux.

Il faut souhaiter que l'expérience italienne en cours réussisse. Non seulement parce que son échec aurait sur nous tous de terribles répercussions, mais aussi parce qu'elle offre une chance unique d'enrichir la nécessaire coopération franco-allemande d'un apport précieux, en redonnant tout son sens à la construction communautaire.

Par Sylvie Goulard, députée européenne, Alliance des libéraux et des démocrates pour l'Europe.

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