Et si on réfléchissait à un Etat binational, palestinien et israélien ?

Dans la banlieue est de Jérusalem, le 7 octobre
Dans la banlieue est de Jérusalem, le 7 octobre

Il y a quelques semaines a eu lieu à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv une journée d’études sur l’évacuation civile et militaire de la bande de Gaza, effectuée il y a dix ans sous la conduite du Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon. Nombre d’acteurs de cet événement y ont participé. Parmi eux, le responsable militaire de l’opération, le général de réserve Guerchon Hacohen, de nombreux colons de Gouch Katif et de Gaza, ou encore un rabbin, membre du Gouch Emounim («Bloc de la foi»), qui avait accompagné l’évacuation depuis le début. Le large public était en majorité «faucon», hostile à cette évacuation, et en grande partie constitué de religieux. Invité à donner mon opinion, j’incarnais là le camp de la paix. J’ai entamé mon intervention par ces mots : «Le ministre de la Défense, Moshe Ya’alon, a récemment déclaré qu’il n’y avait aucune chance qu’une paix ou un accord avec les Palestiniens ait lieu de son vivant. Pour ma part, je m’autorise à dire que, tant que la politique israélienne ne changera pas, le ministre peut être sûr que, du vivant de ses enfants et de ses petits-enfants non plus, il n’y aura pas de paix.»

Une partie de l’assistance a aussitôt émis des murmures irrités. Pourquoi donc ? Après tout, la majorité de ce public était en faveur d’une extension des colonies et hostile à une nouvelle évacuation des Territoires de Cisjordanie. Et la plupart des personnes présentes étaient d’avis qu’Israël n’avait aucun partenaire palestinien pour négocier et qu’un tel partenaire était même inutile.

Alors pourquoi ces gens-là ont-ils été aussi déçus qu’un homme du camp de la paix les rejoigne dans leur incrédulité concernant la paix ? Avec le recul, j’ai compris que leur dépit venait du fait de voir un homme identifié toute sa vie au camp de la paix renoncer à tout espoir de paix, comme s’il trahissait sa mission. Comme si, dans l’opinion publique israélienne, le rôle du «camp de la paix» était de s’accrocher à l’espoir d’une paix possible, tandis que celui du «camp national» était de nier la réalité de telles espérances.

Une posture similaire existe dans le camp de la paix, avec à la fois la volonté de croire à la disposition palestinienne d’accepter la plateforme de deux Etats et celle d’abandonner à la droite le rôle de ressasser à quel point il serait difficile, voire presque impossible, d’évacuer des colonies, de partager Jérusalem, et de brandir la peur irrépressible face à l’attitude agressive, irréductible, du Hamas depuis l’évacuation de Gaza. Et qu’arriverait-il si l’Etat palestinien existait déjà et que des multitudes de réfugiés de Syrie et d’Irak submergeaient cet Etat ?

Aussi, pour échapper au piège stérilisant tout débat entre les deux camps, il convient de tenter de susciter une réflexion sérieuse sur la solution binationale, fût-ce comme un exercice intellectuel plutôt stimulant. Un examen de ses modalités peut engendrer de nouvelles idées, qu’elles soient de type fédéral (avec la Jordanie ou sans elle) ou cantonal (sur le modèle helvétique) pour insuffler un espoir de paix réaliste et concret, tout en veillant à détailler sans ambiguïté le coût véritable.

La vision du Grand Israël, avec l’octroi de la citoyenneté israélienne aux Palestiniens qui le souhaiteraient, telle que le président de l’Etat d’Israël, Réouven Rivlin, l’a esquissée dernièrement, pourrait alors dépoussiérer quelques clichés éculés et provoquer une pensée neuve et créatrice. Car le processus de paix en est pour l’heure réduit à s’enliser dans le statu quo : la droite utilise le concept de «deux Etats», tout en multipliant la colonisation et en aggravant l’occupation, la gauche, se servant de la même formule, passe son temps à dresser des cartes impraticables de la division de Jérusalem et du maintien de «blocs» de colonies qui ne cessent de développer des satellites, tandis que, de l’autre côté, les Palestiniens se cantonnent dans leur passivité offusquée et sacrificielle.

Au demeurant, l’Etat d’Israël était déjà, peu ou prou, un Etat binational dans les frontières de la «ligne verte» (la démarcation à la veille de la guerre des Six Jours). Et l’on doit relever que, dans cette situation binationale qui a longtemps connu des épreuves pénibles et exceptionnelles, les deux parties ont fait face avec une relative dignité. De même, la réflexion binationale n’était pas étrangère à de larges fractions du mouvement sioniste, socialiste ou de la droite libérale, et elle demeure encore profondément ancrée dans la conscience de la majorité des Palestiniens.

Certes, depuis le sixième jour de la guerre de 1967, je me suis montré partisan de proposer aux Palestiniens de fonder leur propre Etat. Et je demeure fidèle à cette opinion depuis quarante-huit ans.

Mais il est douloureux de penser qu’avec cette option, si juste soit-elle d’un point de vue politique et éthique, l’occupation se poursuivra et s’appesantira pendant de longues années, le terrorisme ne cessera pas et la paix ne poindra pas à l’horizon mais ne fera que s’enfoncer dans les tempêtes de sable jaune de Syrie.

Abraham B. Yehoshúa, Ecrivain israélien. Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche.

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