Et si Trump avait raison en « se réclamant du patriotisme économique » ?

Se réclamant du patriotisme économique et centrée sur l’industrie manufacturière, la politique commerciale de l’administration Trump semble livrer un combat d’arrière-garde et négliger les secteurs qui feront l’avenir. Pourtant, parce qu’elle pose la question de la ­survie économique d’un pays dans la concurrence commerciale mondiale, elle sera l’enjeu politique majeur de la présidence insurrectionnelle et improbable de Donald Trump, car elle induit la question de la cohésion sociale, condition de la stabilité démocratique.

C’est une question de fond que pose « l’agenda commercial » publié début mars par l’administration, exercice requis chaque année par le Congrès en vertu du Trade Act de 1974. Le document pointe le hiatus persistant entre le libre-échange et le non-respect de la philosophie qui le fonde par de nombreux pays, notamment d’Asie, qui cultivent une opacité normative et judiciaire. La Chine est évidemment visée.

Pour être impulsives et ignorer la transition numérique ou la complexification d’une chaîne de production devenue mondiale, les saillies de Trump ne posent pas moins la question plus large du « fair-play » commercial, en pleine recomposition du paysage industriel mondial. Cette question est légitime au moment où les économies industrialisées voient disparaître de nombreux emplois.

La mondialisation, ennemie de l’Amérique

Le commerce est au cœur du débat politique américain depuis plus de quinze ans parce que la condition de la classe moyenne se dégrade. L’avènement économique de la Chine et son entrée en 2001 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont marqué un tournant, car Pékin est accusé de maintenir artificiellement bas le cours de sa monnaie pour s’assurer un avantage prix. L’appréciation du yuan est estimée à 20 % environ depuis 2005. Chaque 15 avril et 15 octobre, un rapport du Congrès sur les pratiques monétaires chinoises repose à l’exécutif la question de savoir s’il faut déclarer ou non la Chine comme « manipulatrice », décision qui enclencherait des mesures de rétorsion et que Donald Trump a appelée de ses vœux, mais qu’aucune administration n’a encore prise.

La Chine est aussi accusée de fournir près de 90 % de la contrefaçon ­saisie par les douanes américaines, de violer les règles des aides publiques et de piller la propriété intellectuelle. Qu’importe donc que les produits à bas prix importés d’Asie soutiennent le pouvoir d’achat de beaucoup de consommateurs américains au revenu modeste, ou que la productivité soit un puissant vecteur du recul des emplois industriels : la mondialisation, symbolisée par l’ascension chinoise, est devenue l’ennemie de l’Amérique, qui fit pourtant du libre-échange la pierre angulaire de sa puissance.

Défendre le made in America

Instrument d’influence, la politique commerciale a en effet toujours été indissociable de la stratégie globale des Etats-Unis, qui ont fait bénéficier leurs partenaires du premier marché mondial, alors que certains alliés restaient largement fermés aux produits et services américains. Ces réalités n’ont cessé de nourrir le mécontentement sur le déficit commercial et la perte des emplois manufacturiers.

Ce mécontentement, qui avait dicté les négociations monétaires des années 1980 pour une réévaluation du yen japonais, a resurgi pendant la campagne présidentielle de 2016. Porte-parole de la colère d’une partie du peuple américain, Trump ambitionne donc de refonder la politique commerciale pour défendre le made in America, avec la Chine et le Mexique comme cibles privilégiées. Son patriotisme économique rencontre un large écho, jusque dans les pays industrialisés d’Europe où l’emploi subit les délocalisations vers les pays de l’Est à bas salaires.

L’appel au peuple contre des élites aveuglées par la mondialisation n’en démêle cependant pas tous les fils commerciaux. Appliquer de façon plus offensive les instruments de défense commerciale comme prévu par l’OMC ou, au niveau national, les clauses de sauvegarde unilatérale que peut prendre le président (d’ailleurs engagées en 2014 contre les pneus chinois), est légitime. La Chine du parti unique n’est pas une économie de marché, et la protection de la propriété intellectuelle y est un enjeu considérable pour les groupes occidentaux. Mais, en sortant du Partenariat transPacifique (TPP) âprement négocié par l’administration Obama avec onze pays, Trump est accusé de récuser un accord censé resserrer les clauses de loyauté des échanges dont il a fait pourtant l’épine dorsale de sa campagne.

Une source d’inspiration pour l’Europe

Or, l’absence de mesures concrètes dans l’agenda de mars pourrait in­diquer que les annonces phares sur l’abandon du TPP et la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain de 1992 ne seront pas appliquées sans nuance. La réautorisation de l’oléoduc transaméricain Keystone XL, suspendu par Obama, pourrait ainsi amener des discussions avec le Canada avant même le Mexique, cible des diatribes présidentielles.

Les Etats-Unis de Trump sont sans doute prêts à bousculer les prudences diplomatiques pour « assainir » les pratiques commerciales, à questionner les décisions de l’OMC jugées défavorables à leurs intérêts et à privilégier les discussions bilatérales, mais sans mettre en péril l’ordre commercial mondial indissociable de leur prospérité.

Il est encore tôt pour se faire une idée précise de ce que sera la politique commerciale américaine, sur la foi d’un document d’ailleurs amendé la nuit précédant sa publication. Mais adapter la protection de ses industries aux conditions de la concurrence ne paraît finalement pas aussi fantasque que le style présidentiel. L’Europe même pourrait s’inspirer de ce débat américain autour de la détérioration des termes des échanges depuis la décennie 2000.

Yannick Mireur, fondateur de la revue « Politique américaine  », créateur de « Nexus ­Forum », plate-forme d’échange économique. Il est l’auteur de Le Monde d’Obama (éd. Choiseul, 2011).

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