ETA ne veut pas rendre les armes en France

Par Jean Chichizola (LE FIGARO, 05/04/06):

Deux semaines après l'annonce d'un cessez-le-feu permanent, l'organisation basque continue ses activités au nord des Pyrénées.

PARIS préférerait les oublier. Mais ils sont là par centaines : terroristes en cavale, détenus condamnés à de lourdes peines ou compagnons de route. Les enfants d'ETA perdus dans la «base arrière» française. Et qui feront tout pour que l'avenir du «cessez-le-feu permanent» décrété le 22 mars dernier par l'organisation basque se joue aussi dans les petits villages du centre de la France, les prisons de l'Hexagone ou les ruelles du «Petit Bayonne».

Le premier cercle, le plus important, est bien sûr celui des etarras (1) en fuite chapeautés par les dirigeants de l'organisation. Un militant nationaliste concède, en un euphémisme souriant, qu'une «partie de l'infrastructure d'ETA se trouve en France». En juin 2005, lors d'une rencontre avec des responsables français, un représentant du ministère de l'Intérieur espagnol parlait d'environ 1 500 etarras : 750 en prison des deux côtés des Pyrénées et 750 en fuite dont 250 membres opérationnels et 500 en réserve. Selon lui, la France abriterait 100 à 200 opérationnels dont les chefs.

Se préparent-ils à sortir de la clandestinité et à se reconvertir ? Selon un policier, «leur attitude sera la même que pendant la trêve de 1998-1999 : attendre les ordres et continuer à s'entraîner». L'un des premiers tests est celui des vols de véhicule. Grands voyageurs et extrêmement méfiants, les petits soldats d'ETA «consomment» annuellement 100 à 200 voitures, souvent volées à des étourdis qui laissent les clés sur le tableau de bord. A en juger par le nombre de véhicules retrouvés et de vols imputés à ETA, quasiment quotidiens depuis une quinzaine de jours, rien n'a changé.

Un «salaire» de 500 à 600 euros par mois

Les terroristes continueront-ils leurs attaques à main armée pour se procurer du matériel ou des explosifs ? Le dernier vol en France a été commis une semaine à peine avant le cessez-le-feu. Le 24 mars, soit deux jours après l'offre de paix d'ETA, des documents étaient retrouvés dans une grange du Lot. Datés des premiers jours du mois, ils semblent indiquer que les «militaires» de l'organisation sont toujours sur le sentier de la guerre.

Si les clandestins arrêtaient toute activité en France, il leur faudrait encore y poursuivre leur existence «monacale». Terré dans un appartement, le clandestin attend le courrier qui lui livre un «salaire» de 500 à 600 euros par mois. Où trouver l'argent pour louer les planques, toujours en liquide, et pour les dépenses quotidiennes dont les etarras doivent justifier chaque centime ? Le budget annuel d'ETA dépasserait le million d'euros. Si elle n'a pas de trésor caché, et si elle souhaite conserver sa force de frappe, il lui faudra poursuivre le racket au Pays basque espagnol. Là encore, la France est souvent utilisée pour envoyer les lettres de menaces et récupérer «l'impôt révolutionnaire». Vols, attaques à main armée, chantage... la poursuite des actions dans l'Hexagone servira à tester la réalité du «cessez-le-feu».

Le sort des «prisonniers politiques» – détenus en examen ou condamnés pour des actes de terrorisme – jouera également. Une majorité d'etarras sont emprisonnés en Espagne mais le contingent de pensionnaires des prisons françaises, 160, pèse lourd. Organisés en comité, dont les deux porte-parole en France sont incarcérés à Rennes et Fresnes, les détenus reçoivent de 200 à 300 euros par mois des organisations proches d'ETA. Ils réclament leur rapprochement au Pays basque mais pas seulement pour faciliter les visites des familles. «L'objectif, selon le porte-parole d'Askatasuna, l'association de soutien aux prisonniers, Jean-François Lefort, est de leur permettre de participer à la négociation.» Lefort, soupçonné de liens avec ETA, ajoute «qu'il ne s'agit pas d'un problème géographique mais politique». De simples gestes humanitaires ne satisferont pas la mouvance. Et la mobilisation ne faiblit pas : le week-end dernier, des nationalistes basques se sont rassemblés devant les prisons de Douai et Moulins pour soutenir deux etarras. Le 26 mars, à Biarritz, l'association des familles de prisonniers Etxerat (Retour au foyer) a tenu son congrès annuel en appelant Paris à négocier.

«La violences pourrait recommencer»

Si les planques des clandestins ou les cellules des détenus sont inaccessibles, le troisième acteur «français» d'ETA agit au grand jour dans les ruelles du petit Bayonne. Entre la rue Pannecau et celle des Cordeliers, on trouve les bureaux de Batasuna (Unité), interdit en Espagne, ou ceux mouvement de jeunesse Segi (Relève) dont plusieurs militants présumés ont fini derrière les barreaux. Pays basque oblige, les rendez-vous avec les «patri otes» se tiennent dans les petits bars à l'ombre de l'église Saint-André. Ici, on n'oublie pas qu'ETA a cité à deux reprises «l'État français» et «la France» dans son communiqué du 22 mars. «Si Paris ne veut pas s'engager, lâche un militant, les Basques vont lui forcer la main.» Cet indépendantiste rappelle aussitôt «la violence d'Iparretarrak des années 70 et 80 qui pourrait recommencer». Membre du bureau national de Batasuna, Xabi Larralde relaie ces propos. «Qu'elle le veuille ou non, glisse ce jeune Français, la France est un acteur du conflit et pas seulement un observateur.»

Tout en reconnaissant que «les 260 000 habitants du Pays basque nord (NDLR : le Pays basque français) sont dix fois moins nombreux que les Basques espagnols et que les nationalistes n'y sont pas majoritaires loin de là», il laisse entendre que les indépendantistes pourraient se contenter d'une simple reconnaissance d'une entité basque en France.

En clair, procéder par étapes et soutenir toute évolution vers une «basquisation» : département et langue basques, accords trans frontaliers, etc. Mais Paris acceptera-t-elle de créer une «question basque» sur un territoire qui la pose à peine.

(1) Membres d'ETA.