Etats-Unis : le retour d’un cycle de peur ?

Devant le consulat américain de Ciudad Juárez, au Mexique, mercredi. Photo Jose Luis Gonzalez ( Reuters)
Devant le consulat américain de Ciudad Juárez, au Mexique, mercredi. Photo Jose Luis Gonzalez ( Reuters)

«La peur est le fondement de la plupart des gouvernements.» John Adams

Lundi, deux tragédies distinctes semblent avoir touché les Américains. A la lecture du New York Times et de la presse progressiste, ou écoutant les propos du président Obama, il s’agirait de la plus importante tuerie de masse de l’histoire du pays («worst US mass shooting»), d’un crime inspiré par la haine homophobe et rendu possible par un accès facile aux armes à feu. Mais à la lecture de la presse conservatrice ou des propos de Donald Trump, on pourrait croire au retour d’un terrorisme international lié à l’islam. Le candidat républicain bientôt désigné appelle même le Président à la démission pour n’avoir pas prononcé le terme d’«islamisme radical». Dans la continuité, le slogan de sa campagne évoluait, passant de «Make America great again» à «Make America safe again», comme si les Etats-Unis n’étaient précisément plus un pays sûr… La peur du terrorisme avait pourtant cessé d’accaparer l’esprit des Américains, ainsi que le décrivait Hunter S. Thompson dans son ouvrage au titre évocateur le Royaume de la peur (2003). (Photo Bruno Fert. In Visu)

Donald Trump sait que la «carte électorale» ne lui est pas favorable. Dans les onze Etats où le vote va se jouer, il part avec un large handicap, du fait notamment de son large retard dans l’électorat féminin ou chez les minorités. Pour déjouer les pronostics, il lui faut imposer ses thèmes à la campagne. Plus encore, il lui faut miser sur des dynamiques émotionnelles en mesure de déjouer les données statiques du vote.

C’était la crainte des démocrates depuis plusieurs semaines, qu’un événement extérieur venant soutenir la stratégie de Trump se produise : insistance sur une menace, désignation d’un ennemi clair, collectif, proposition d’une solution autoritaire en mesure de le détruire. Marc Hetherington et Jonathan Weiler, auteurs de Authoritarianism and Polarization in American Politics (2009), estiment que la base républicaine est depuis quelques années en quête d’un leader imposant un ordre simple au sein d’un monde dans lequel les Etats-Unis ne sont précisément plus dominants. Karen Stenner, dans The Authoritarian Dynamic (2005), estime que c’est l’ensemble des citoyens qui, dans un contexte de menaces, développeraient une aspiration à l’autoritarisme politique.

La confiance est l’un des moteurs de l’histoire du pays. Que l’on pense aux pères fondateurs qui ont inscrit «la recherche du bonheur» au cœur des institutions, à l’optimisme qui a présidé à la conquête d’un si vaste territoire (le «Go West, young man» de Horace Greeley) ou à la «nouvelle frontière» de J.F. Kennedy… Mais des cycles de peur ont également traversé l’histoire du pays. Peur du communisme à la période du maccarthysme («Red Scare») ou, déjà, peur de l’islamisme après les attentats du 11 septembre 2001. Barack Obama avait précisément axé sa campagne de 2008 sur le dépassement de ces peurs et des erreurs qui s’en étaient suivies en matière de politique étrangère (invasion de l’Irak en 2003), citant à l’envi la phrase de F.D. Roosevelt : «La seule chose que nous ayons à craindre est la crainte elle-même.» Plus récemment, dans son discours sur l’état de l’Union, il appelait les Américains à abattre à nouveau «ce mur de la peur», estimant qu’il n’y avait plus de «menace existentielle» sur les Etats-Unis, contrairement à l’époque de la guerre froide. Il répondait déjà aux leaders républicains qui, parlant de Daech, évoquaient la possibilité d’une troisième guerre mondiale…

Corey Robin et Patrick Boucheron (l’Exercice de la peur, usages politiques d’une émotion, 2014) rappellent qu’«avoir peur, c’est se préparer à obéir». Ils soulignent à raison que la peur peut servir de prétexte à la transformation durable des institutions, comme ce fut le cas avec le Patriot Act, promulgué dès le 26 octobre 2001.

La peur que Donald Trump cherche à créer autour de la communauté musulmane s’inscrit dans une longue tradition qui remonte à la peur des catholiques au XIXe siècle (le pape était alors supposé comploter pour saper les fondements de la démocratie américaine…) et plus généralement à la crainte des nouveaux arrivants (Irlandais, Allemands, Italiens, Chinois…), accusés de ne pas partager les valeurs du pays. D’après une enquête de l’institut Brookings, menée les 4 et 5 novembre 2015, 61 % des Américains ont une vision négative de l’islam (56 % des électeurs républicains estiment même que les valeurs de l’islam sont incompatibles avec les valeurs occidentales). Une enquête du même type menée en 1940 révélait que 17 % des Américains considéraient les juifs comme une «menace pour l’Amérique».

Le paradoxe de la montée d’une «culture de la peur» est que les Américains connaissent une sécurité quotidienne qui n’a jamais été égalée dans l’histoire du pays. Mais le discours politique, associé aux chaînes d’information en continu, est en mesure de maintenir un fort niveau de tension autour de faits d’actualité dramatiques (les alertes enlèvement, par exemple, sont plus anxiogènes qu’à l’époque de l’affaire de l’enfant de Lindbergh, qui avait déjà marqué l’opinion du pays en 1932). Barry Glassner (1) affirme que la culture de la peur focalise l’attention autour de «grandes menaces» au détriment des «petites menaces» quotidiennes : pour reprendre ce même exemple, l’enlèvement de son enfant est rationnellement moins à craindre que de le laisser faire du vélo sans casque. Si les statistiques montrent qu’il y a plus de risque d’être tué par la foudre que par un terroriste, il n’est pas sûr cependant que ce type de vérité soit audible dans une campagne électorale. C’est que la politique de la peur, comme le dit Mark Vernon, parie sur le fait que l’opinion ne peut supporter les incertitudes liées à un risque toujours possible. La question du politique, dans ce contexte, est de savoir lequel des candidats sera le mieux en mesure de fournir l’«illusion du contrôle».

François Durpaire, historien, université de Cergy-Pontoise.


(1) The Culture of Fear : Why Americans Are Afraid of the Wrong Things, 1999.

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