Euro : taxer la finance et le pétrole

La décision prise, dimanche dernier, par les Etats européens de mutualiser les risques liés à l’augmentation de leurs dettes publiques est une excellente nouvelle. Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont montrés à la hauteur de leur responsabilité historique. Mais cette décision a une conséquence : si l’un des Etats devait être amené à restructurer sa dette, c’est-à-dire à ne pas rembourser ses créanciers, les contribuables des autres Etats auront à payer la facture. D’où l’exigence allemande de renforcer les sanctions liées au non-respect du pacte de stabilité et de croissance.

La demande est d’autant plus compréhensible que l’Allemagne est le pays qui va contribuer le plus à la mutualisation et qui a donc le plus à perdre. Mais cette exigence est particulièrement risquée dans le contexte actuel. En effet, si tous les Etats diminuent en même temps leurs dépenses publiques pour respecter en 2012 les critères du pacte de stabilité, c’est toute l’économie européenne qui va se contracter. Car ni les ménages ni les entreprises ne vont prendre le relais. Victimes de l’augmentation du chômage, les premiers pensant surtout à constituer une épargne supplémentaire, quand ils le peuvent. Les secondes utilisent leur capacité actuelle de production à un taux très faible et n’ont aucune raison de s’engager dans des investissements massifs.

Comment sortir de l’impasse ? La solution pour diminuer les déficits publics doit passer non par la baisse des dépenses mais par l’augmentation des recettes. Deux secteurs économiques doivent être particulièrement mis à contribution : la finance et les compagnies pétrolières. Le montant cumulé des bénéfices réalisés par Total depuis 2007 représente 36 milliards d’euros. Si l’on ajoute les bénéfices réalisés sur la même période par BP, compagnie britannique, et Shell, compagnie anglo-néerlandaise, le total des principales entreprises européennes du secteur s’élève à plus de 100 milliards d’euros. Quant aux bénéfices cumulés depuis 2007 par BNP Paribas et Deutsche Bank, il s’élève à plus de 28 milliards. Et, la semaine dernière, Total et BNP ont annoncé un bénéfice trimestriel de 2,2 milliards chacune. Les activités de marché, autrement dit de placements et de spéculation, de BNP affichent un retour sur investissement de 45% !

Que montrent de tels niveaux de rentabilité : que ces deux secteurs bénéficient d’une rente, liée pour l’une à la dérégulation financière, pour l’autre à la tension croissante sur les ressources énergétiques qui pousse les prix à la hausse, et qu’ils prélèvent chaque année des dizaines de milliards d’euros sur l’économie européenne.

Mettre fin à ces rentes en adoptant une mesure coordonnée de surtaxation importante des profits non réinvestis de ces deux secteurs au niveau européen aura pour conséquence de priver de leurs revenus les actionnaires des sociétés concernées. Mais l’alternative est de diminuer les dépenses sociales à destination des plus fragiles, la qualité des services publics, les investissements publics nécessaires pour préparer l’avenir et notamment assurer la conversion écologique de nos économies, etc. Entre les deux solutions, la première est bien évidemment la plus juste, mais aussi économiquement la plus rationnelle. Priver les actionnaires des entreprises de ces secteurs d’une partie de leurs gains ne fera que diminuer leur épargne. Priver les chômeurs de leur allocation ou les fonctionnaires de leur salaire est une injustice inacceptable et aura des effets négatifs bien plus importants sur l’économie.

Après avoir pris une décision courageuse dimanche, les chefs d’Etat et de gouvernement européens doivent en tirer les conséquences et acter que le temps de la modération et de la rigueur est arrivé pour les plus grands rentiers de l’économie contemporaine.

Eva Joly, député européen Europe Ecologie, Pascal Canfin, député européen Europe Ecologie, et Daniel Cohn-Bendit, député européen Europe Ecologie.