Europe : « Comment sortir du tout ou rien ? »

La démarche initiée par Jean Monnet pour la construction européenne – celle d’un contournement du politique par des avancées techniques décisives et peu spectaculaires – est longtemps apparue comme la clé de son succès. Mais, ce contournement du politique a initié une trajectoire qui n’a cessé de déposséder des gouvernements issus du suffrage universel, sans y substituer un pouvoir fédéral démocratique. Au vu du Brexit et de la perte d’audience de l’idée européenne dans plusieurs pays, on peut se demander si la poursuite de cette démarche ne condamne pas à terme l’Union européenne (UE).

Une étrange constellation s’est progressivement constituée, composée d’institutions communautaires non élues, à l’exception du Parlement européen, et de gouvernements nationaux. Ces derniers n’ont pas été à proprement parler dépossédés de leur pouvoir, mais ils ne peuvent l’exercer qu’à condition de suivre les normes imposées par les traités qu’ils ont eux-mêmes adoptés quand ils ne les ont pas inspirés, ce qui ne veut pas dire qu’ils les contrôlent.

Faute d’une vision claire de ce qu’ils peuvent attendre de l’UE (et singulièrement de la zone euro), en aides comme en obstacles, les gouvernements successifs s’en tiennent à la défense d’avantages nationaux à court terme et au souci de ne rien faire qui puisse conduire à une confrontation avec les partenaires les plus puissants, en premier lieu l’Allemagne.

Faire le dos rond

Cette attitude est puissamment renforcée par les structures de l’UE. Une négociation à Vingt-Sept se révèle le plus souvent quasiment impossible. Il parait donc souvent préférable d’accepter un statu quo pour mieux se concentrer sur l’obtention d’un avantage spécifique, fût-il minime.

Dans des sujets conflictuels, par exemple les fameuses normes héritées de Maastricht, il paraît souvent plus opératoire de négocier des délais ou de faire le dos rond plutôt que de s’engager dans un combat que l’on juge perdu d’avance compte tenu du poids de l’Allemagne et de ses alliés, quitte à se satisfaire de proclamations sans lendemain.

Il n’est pas rare que les exigences communautaires servent d’alibi aux gouvernements pour satisfaire des objectifs qui leur paraissent nécessaires sans qu’ils veuillent les assumer, notamment quand il s’agit d’appliquer des politiques d’austérité.

Prélude à une réforme profonde

En fin de compte, les traités constitutifs de la zone euro ont instauré des mécanismes coercitifs qui bloquent l’action des gouvernements. En général, les Constitutions définissent des règles du jeu, mais les traités prétendent, eux, déterminer des politiques. Les politiques budgétaires ont été ainsi enfermées dans un corset juridique s’inspirant d’une idéologie éminemment discutable, qui a pourtant fait la preuve de sa nocivité lors de la crise de 1929.

La survie de l’euro et de l’UE exige un véritable débat sur leur fonctionnement, qui devrait préluder à une réforme profonde. Cette campagne électorale apparaît comme une nouvelle occasion manquée. Comme la bien-pensance communautaire rend difficile toute critique, les seuls qui s’y risquent sont ceux qui sont aux extrêmes.

L’opinion se répand que désormais rien n’est possible sans sortir du système. Il serait dramatique que cette paralysie du débat conduise à un abandon de l’euro, qui serait sans doute suivie par celui de l’UE. Est-ce trop demander aux dirigeants des principaux pays européens de mesurer la portée de cette menace et d’en tirer les conséquences ?

André Grjebine, directeur de recherche au Centre de recherches internationales de Sciences Po.


Cet article reprend les conclusions d’une étude à paraître en mai dans Le Gouvernement économique européen, sous la direction de Jean-Bernard Auby et Pascale Idoux, préface d’Enrico Letta (Ed. Bruylant).

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