Europe, immigration : un vote sans débat

Il parait que l'UE intéresse peu nos concitoyens sauf, à en croire les sondeurs, ceux qui aimeraient suspendre Schengen ou en finir définitivement avec sa liberté de circulation « pas assez surveillée ». Ceux-là font la course en tête aux élections européennes.

Que près de la moitié des votants souhaite le retour des douaniers, cela parait suspect tant cette idée régressive est simpliste. Mais si elle séduit autant, c'est que personne n'a pris le temps d'écouter ce que personne n'a eu envie -ou l'occasion- d'expliquer sur le rôle des frontières et de l'immigration en Europe. Nos concitoyens n'ont fait qu'entendre une éternelle rengaine, pas même remise à jour.

Revenir aux principes fondateurs de l'UE, saluer le progrès qui permet de voir, chaque jour, 9 millions d'Européens franchir les frontières intérieures de l'UE sans avoir à montrer patte blanche. Ne pas nier pour autant le défi migratoire qui s'impose à l‘Europe, voilà ce qui aurait pu donner le « la » d'une Europe sûre d'elle-même et de son rapport aux étrangers.

Mais, d'un bout à l'autre de l'éventail politique, les candidats ont essentiellement bachoté sur Frontex et Schengen : les uns veulent une réforme radicale, les autres des gardes barrières surarmés, tandis que les troisièmes ne souhaitent rien, sauf que la répression ne se pose pas comme « l'alpha et l'oméga » d'une politique migratoire commune.

Quelle serait justement cette miraculeuse politique commune ? Avant de la définir, il aurait d'abord fallu poser la question du « trop de migrants » ? Trop ? Près de 21 millions d'étrangers extracommunautaires, soit seulement 4 % de la population totale de l'UE, séjourne de manière légale en Europe ! Et d'ajouter ensuite, que la croissance démographique de l'Union est aujourd'hui portée à 2/3 par le solde migratoire. De poursuivre en disant que demain, c'est-à-dire en 2050, l'Europe ne représentera plus qu'environ 5 % de la population mondiale. Et que ses habitants seront, à près de 30 %, âgés de plus de 65 ans. Faut-il donc encore attendre pour que se pose sereinement la question du besoin d'immigration pour ce vieux continent, bientôt peuplé de vieilles personnes ? Si nous ne voulons pas que l'Europe se momifie, il faut avoir le courage de poser les conditions de l'avenir, migrations des compétences et migrations de projets incluses, afin de rester compétitifs dans une course mondiale fondée sur l'économie de la connaissance.

Afin de proposer davantage de voies d'entrées légales sur le territoire européen, pas besoin de recourir à ce commissaire européen à l'immigration, nouveau chapeau sorti de la panoplie d'une UMP hésitante et divisée. La proposition est d'une hypocrisie totale, car nul n'ignore que des critères de convergence existent déjà, et qu'aucun État n'est prêt à céder sur sa souveraineté comme sur sa stratégie individuelle en matière de migration.

S'il faut le répéter, alors répétons-le : nos frontières extérieures sont très bien - et très coûteusement - surveillées. Mais si les pays en premières lignes d'accueil de migrants étaient mieux soutenus, par une vraie politique solidaire entre les 28 États membres, tout irait beaucoup mieux pour l'Italie, la Grèce, Malte, l'Espagne… C'est-à-dire pour toute l'Europe.

Davantage de solidarité dans un premier temps et une meilleure protection des personnes, voilà le deuxième axe à suivre. Les migrations irrégulières devraient en effet apparaître moins comme un problème que comme un scandale quand elles contraignent les personnes en quête d'asile, c'est notamment le cas de Syriens, à mettre leurs vies en danger pour tenter de la sauver. Il faut une évaluation systématique des besoins et de la vulnérabilité des personnes ainsi qu'un recours plus ouvert aux visas depuis les ambassades européennes.
C'est aussi le volet de la prévention qu'il faudra mettre en œuvre : basé sur une coopération forte et équilibrée avec les pays d'origine et les pays de transit, il permettra de limiter les situations d'exil forcé. Outre la mise en place de véritables actions de co-développement, il s'agira d'aider au renforcement de la démocratie et de l'État de droit, aux systèmes de protection, à la réinstallation, dans les pays de transit qui se sont désormais transformés en pays d'accueil. Il nous faut travailler avec eux en partenariat et nous engager davantage à leurs côtés.

L'Europe ne peut en effet pas se contenter d'externaliser ses missions, de déléguer ses taches de garde barrières au plus loin de ses frontières, c'est-à-dire de son regard. Il nous faut de la solidarité. C'est le maître mot d'une politique d'asile et d'immigration pour l'Europe. Mais c'est un mot qui, malheureusement, fait davantage peur aux politiques qu'aux populations. Cela explique sans doute pourquoi le débat n'a pas vraiment eu lieu et pourquoi le scrutin s'annonce aussi peu participatif.

Par Pierre Henry, Directeur général de France terre d'asile.

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