Europe, la crise sans fin

«Les marchés tremblent» titrait en page intérieure le Monde, le 31 mai. En fait, loin de trembler, «les marchés», c’est-à-dire les milieux financiers, ont décidé de reprendre le jeu spéculatif qu’ils avaient joué contre la Grèce en 2010, en liquidant les actifs italiens en leur possession et en particulier les obligations d’Etat. Sans atteindre (loin de là) les niveaux de la Grèce, les taux d’intérêt de la dette italienne s’envolent et les pays considérés comme les plus vulnérables, tels l’Espagne ou le Portugal, se voient aussi touchés. Le scénario de la crise de 2010 semble se reproduire.

A l’époque, la Banque centrale européenne avait évité le pire en mettant en place le programme SMP (Securities Markets Programme) qui lui avait permis d’acheter 217 milliards d’euros d’obligations d’Etat sur le marché secondaire de mai 2010 au début 2012. Par la suite, Mario Draghi avait déclaré que la BCE ferait «tout ce qui était nécessaire» pour sauver la zone euro et annonçait la mise en place d’un programme de rachat illimité d’obligations souveraines, l’OMT (Outright Monetary Transactions), qui finalement n’a jamais été activé, ce qui n’a pas empêché la BCE d’inonder les marchés financiers de liquidités.

Tout semblait donc sous contrôle et, l’activité économique semblant reprendre, la BCE pouvait envisager d’en finir avec une politique non conventionnelle qui faisait horreur aux tenants de l’orthodoxie monétaire.

Las, la perspective d’un gouvernement italien dominé par l’extrême droite a fait voler en éclat ce scénario. Ce n’est pas le fait que ce gouvernement soit explicitement xénophobe qui pose problème aux institutions européennes ni même qu’il supprime l’impôt progressif sur le revenu pour le remplacer par une flat-tax, mesure phare de l’agenda néolibéral, mais qu’il annonce vouloir «revoir, avec les partenaires européens, le cadre de la gouvernance économique».

Le président de la République italienne, Sergio Mattarella, aurait pu indiquer que les mesures envisagées contre les migrants étaient contraires aux droits humains, il a préféré se poser en défenseur des traités européens. Il n’a pas été ébranlé par l’effondrement des partis traditionnels, en particulier du Partito democratico de centre-gauche, dont le leader, Matteo Renzi, avait été loué par Emmanuel Macron, qui avaient mené une politique d’austérité drastique accompagnée d’une remise en cause des droits sociaux.

Sergio Mattarella a voulu nommer un président du Conseil issu du FMI et connu pour avoir été celui qui avait mis en œuvre la réduction massive des dépenses publiques, «Monsieur ciseaux». Il aurait voulu que l’extrême droite soit plébiscitée qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Cette attitude suicidaire renvoie peut-être à l’illusion que, comme l’a affirmé sans fard le Commissaire européen au budget, «les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter». On a dans cette petite phrase le concentré du néolibéralisme pour qui la démocratie n’est acceptable que si les politiques menées se situent dans son cadre.

La tragédie italienne est une illustration grandeur nature de tous les maux dont souffrent l’Europe et la gauche. La force dominante à gauche, le Partito democratico, s’est convertie au néolibéralisme, la gauche radicale incarnée par Rifondazione Comunista s’est perdue corps et biens après avoir participé en 2007 au gouvernement de Romano Prodi, qui a mené une brutale politique antisociale, laissant ainsi l’espace politique ouvert pour le Mouvement Cinq Etoiles.

Les institutions européennes et les gouvernements, non seulement n’ont pas tiré les leçons de la crise financière de 2008, mais ils ont mis en place un fédéralisme autoritaire avec de nouveaux instruments institutionnels pour imposer les politiques d’austérité et la remise en cause des protections des salarié·e·s. Les marchés financiers, abreuvés de liquidités par la BCE, restent tout-puissants et peuvent continuer à spéculer sur la dette des Etats. Le comportement de la plupart des gouvernements européens face aux migrants a nourri la xénophobie qui est le ressort de l’extrême droite.

Tant que la zone euro continuera à se construire dans un contexte où la concurrence fiscale, le dumping social et la spéculation financière domineront, elle sera de plus en plus soumise à un risque d’explosion. Il est difficile de prévoir aujourd’hui si les turbulences sur les marchés sont les signes avant-coureurs d’une nouvelle crise financière ou si l’intervention de la BCE calmera la spéculation en cours.

Quoi qu’il en soit, cet épisode pose une nouvelle fois la question de l’avenir de l’Union européenne. Si elle reste ce qu’elle est, c’est-à-dire un carcan pour les peuples, elle n’a pas d’avenir. Pire, elle fait dans de nombreux pays le lit de l’extrême droite. Il est peu probable que les institutions européennes et les gouvernements entendent raison. Ils ont étranglé le gouvernement Syriza en Grèce qui était porteur d’un projet de refondation démocratique et solidaire de l’Europe. Ils se retrouvent face à un gouvernement xénophobe et antieuropéen dans la troisième économie de la zone euro et un pays fondateur de l’Union européenne. Combattre un tel gouvernement suppose de rompre avec les politiques actuellement menées pour imposer une Europe de la justice sociale. Il est temps de s’y mettre.

Par Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers, Pierre Khalfa et Dominique Plihon, economistes, membres d’Attac et de la Fondation Copernic.

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